C'est une histoire d'amour. Une grande histoire d'amour.
Voilà ce qu'on pourrait dire à propos d'
Après tout, le nouveau court roman de l'écrivain français
Ian Soliane qui revient une seconde fois aux microéditions JOU après
Basqu.I.A.t en 2021.
Toujours fasciné par les progrès de l'Intelligence Artificielle, l'auteur s'aventure sur une terre intimiste et douloureuse et nous plonge dans un récit à la Black Mirror qui dépasse toutes les attentes.
Allumage du freeware, premiers mots pénibles et emplacement réseau sous l'aisselle. Non, Claire n'est pas humaine.
Sous les yeux (et les mains) de notre narrateur, voici qu'une morte revient à la vie, comme un fantôme des Noël passés.
Comme un souvenir en métal et en circuits imprimés.
Après Tout est une novella d'à peine 120 pages qui raconte le retour de l'être aimé, en l'occurrence la femme d'un écrivain qui ne s'est jamais remis de la mort de sa compagne, elle-même artiste et illustratrice.
Le récit alterne entre une ligne temporelle au présent où l'on découvre en même temps que l'endeuillé une technologie stupéfiante — sorte de mélange d'androïde et d'I.A ultraperfectionnée — qui offre une copie plus vraie que nature d'une personne disparue, et une ligne au passé où le narrateur semble s'adresser directement à sa femme décédée.
D'un côté,
Ian Soliane raconte le contact entre la « nouvelle » Claire et son mari, de l'autre, le même mari nous raconte la découverte de la maladie de sa femme et sa lente déchéance physique.
Cette maladie, c'est la terrible SLA — Sclérose Latérale Amyotrophique — , une pathologie dégénérative neuronale qui paralyse lentement le patient jusqu'à sa mort par étouffement.
Une horreur, un enfer qui n'a aucun remède.
Ainsi, le lecteur va alterner entre un abîme de tristesse et une joie étrange, presque malsaine où le narrateur, incapable de faire le deuil de son épouse, met toute son énergie à aimer la créature synthétique qu'un certain Ivan, ingénieur génial s'il en est, lui a donné.
La prouesse technologique semble incroyable et, pendant un temps, l'amour semble renaître de ses cendres avec la frénésie carnassière des amants et la redécouverte des souvenirs, des douceurs, des saveurs.
Seulement voilà, quelque chose cloche.
Tandis qu'on suit la chute vers le néant et la descente aux enfers de la véritable Claire jusqu'à sa mort inéluctable, on comprend petit à petit que l'autre Claire n'est qu'un substitut qui n'arrivera jamais à la hauteur de la précédente, qui ne sera jamais elle.
C'est un récit d'autant plus touchant et cruel que notre narrateur met du temps à comprendre qu'il n'interagit pas vraiment avec cette nouvelle Claire comme il l'aurait fait avec sa femme décédée. Qu'il en sert tout autant qu'il l'aime.
Un sentiment de malaise s'installe lentement et se diffuse à travers le récit qui se voit contrebalancer par la sincérité poignante du narrateur, par sa douleur fulgurante et son incapacité totale à vivre sans la femme qu'il a toujours aimé.
Ian Soliane joue l'équilibre et ne chute jamais, saisissant au coeur cette problématique épineuse du deuil et des sentiments ambivalents qui peuvent s'emparer des proches du défunt. Sans jamais en faire trop, sans jamais aller chercher la larme à son lecteur, mais simplement en montrant, sans tabou, sans faux-semblants.
En filigrane se pose alors la question de cette technologie et du niveau de conscience de Claire, de ce qu'elle peut bien ressentir et à quel point il est injuste pour elle d'être un substitut plutôt qu'un être à part entière. On ne peut s'empêcher de se dire que son destin est tout aussi triste et terrible que celui de son supposé mari pour qui elle n'est qu'une sorte d'objet transitionnel, qu'un fantasme ramené à la vie par un mauvais génie.
Ce qui impressionne enfin clairement dans cette novella, c'est l'authenticité du récit face à la maladie, au dépérissement de l'être cher et, finalement, à la dépression insurmontable qui ronge sa victime jusqu'à l'os et le laisse incapable d'aller de l'avant.
C'est une histoire d'amour, une grande histoire d'amour.
Où l'on pleure à la fin, seul, comme il se doit.
Aussi court qu'émouvant,
Après tout s'interroge sur l'IA palliative, celle que l'on utilise pour contrecarrer les plans de l'existence.
Ian Soliane saisit toute la complexité de cette question et livre, au passage, une histoire d'amour d'une beauté et d'une cruauté terrifiante.
Indispensable (et avec un bon paquet de mouchoirs).
Lien :
https://justaword.fr/apr%C3%..