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EAN : 9782492628078
128 pages
Editions Jou (05/04/2024)
4.07/5   7 notes
Résumé :
Après tout est une histoire d’amour inoxydable. Quand la technologie permet de «ressusciter» une copie conforme de l’être aimée. Un veuf désespéré fait revenir la femme qu’il aimait, pour la chérir et la protéger comme si elle était vivante. Refus de la réalité ? Fuite dans la psychose ? Le récit débute au premier jour du retour de l’être aimée puis vient le moment de la présentation au fils, à la famille et à la société toute entière. Le nouveau monde est peut-être... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Claire est morte. Suite à une longue et douloureuse maladie. Un calvaire que le narrateur a vécu comme une descente aux enfers. La maladie de Charcot a progressivement grignoté celle qu'il aimait. Claire a lutté, longtemps, vivement. Mais son corps l'a progressivement lâchée. Et elle est morte. Pourtant, le narrateur lui parle encore, la touche. Par quel miracle ?

En lecteur de SF, on comprend rapidement, dès les premières lignes, ce qui lui a permis cette deuxième chance : « Pendant la mise en route du freeware, les yeux de Claire roulent dans ses orbites. » Son épouse adorée est revenue sous forme de robot, d'androïde, d'être de métal recouvert de peau synthétique. Démarre alors un apprentissage chaotique, mais si doux. Les deux êtres, humain et mécanique, doivent s'habituer l'un à l'autre. La machine est en rodage. Elle prend ses marques. Comme l'I.A. de Christopher Bouix (Alfie), elle doit mettre bout à bout ses connaissances et s'adapter à son nouvel environnement. Car si la machine Claire possède les souvenirs de son modèle, elle ne se comporte pas toujours comme elle. Certaines expressions, charmantes, reviennent. D'autres sont plus surprenantes. Elle reste parfois immobile, comme en pleine concentration ; à d'autres moments, elle se comporte comme une enfant qui découvre la vie, grimpe sur les meubles, dessine sur les murs.

Mais elle est là et comble ce vide atroce qui empêchait le narrateur de vivre. Elle est là et c'est Claire qui est là à nouveau. le jour et la nuit. Car cette nouvelle compagne aime particulièrement faire l'amour. Beaucoup, partout. Ce qui m'a rappelé « La Guerre est finie », nouvelle de Chi Ta-Wei parue dans son recueil Perles (L'Asiathèque). Les androïdes y servent à gérer les besoins sexuels des humains. Mais chez Ian Soliane, la machine n'est pas forcée à accueillir son partenaire, elle le désire. Ou, en tout cas, est présentée comme telle.

Car la particularité et la force de ce récit, c'est la façon dont il est écrit. Pour commencer, on est dans l'esprit de ce narrateur détruit par la longue et douloureuse maladie de son épouse, on ne perçoit le monde qu'à travers ses yeux, ses pensées. Ce qui nous rend solidaires, complices, pleins d'empathie pour ce drame qui se déroule devant nos yeux. Imaginez comment le reste du monde va accepter cette résurrection. Comme chez Ray Naler, dans sa nouvelle « Père » (voir le Bifrost 105 ou le recueil Protectorats chez le Bélial'), les autres ne peuvent supporter cette chose différente. Qui, en plus, ici, prend les traits d'une défunte aimée. En plus, ce type de machine n'est pas fréquent encore. Il est plutôt de l'ordre du prototype. D'ailleurs son « inventeur », « ingénieur » vient régulièrement effectuer des réglages, réparer ce qui dysfonctionne. D'où la peur et l'incompréhension, voire les insultes et la violence.

Autre trouvaille narrative essentielle, capitale : la structure, qui donne à ce récit toute sa puissance. La narration est double : en parallèle de la vie au présent avec la machine, l'auteur intercale des épisodes des moments de vie avec Claire. Quand elle était en pleine forme. Quand la maladie s'est déclarée. Quand il a fallu la combattre. Quand la mort est arrivée. Après le décès de Claire. Tout cela avec un style poignant, mais pas larmoyant. Des mots et des phases d'une grande tenue, mais acéré et efficace. Certains passages touchent au coeur. Comment résister à ça ? Comment tenir dans de telles conditions ? Quelles ressources trouver pour continuer à vivre normalement ? Et même à vivre tout court ? On comprend vraiment, au fil des pages, les raisons du choix du narrateur, pourquoi il vit avec une copie de Claire. Et, de mon côté, je me suis demandé comment j'aurais réagi. Si j'aurais franchi le pas. Je me suis interrogé sur ce qui était le plus fort. Et je dois dire que je n'ai pas la réponse.

Ian Soliane était pour moi un inconnu avant la réception de ce roman tout en souffrance et en réflexion, en douleur et en espoir. Mais j'ai été séduit par sa plume, aux associations de mots parfois étonnantes mais vives, pleine d'empathie et de tendresse, en même temps que de rage et de questions. J'ai découvert aussi que l'auteur avait déjà fait une incursion dans les « mauvais genres » avec Basqu.I.A.t (en 2021 chez le même éditeur). Il va falloir que je me procure cet ouvrage : s'il est aussi fort qu'Après tout, il ne faut pas le manquer.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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C'est une histoire d'amour. Une grande histoire d'amour.
Voilà ce qu'on pourrait dire à propos d'Après tout, le nouveau court roman de l'écrivain français Ian Soliane qui revient une seconde fois aux microéditions JOU après Basqu.I.A.t en 2021.
Toujours fasciné par les progrès de l'Intelligence Artificielle, l'auteur s'aventure sur une terre intimiste et douloureuse et nous plonge dans un récit à la Black Mirror qui dépasse toutes les attentes.

Allumage du freeware, premiers mots pénibles et emplacement réseau sous l'aisselle. Non, Claire n'est pas humaine.
Sous les yeux (et les mains) de notre narrateur, voici qu'une morte revient à la vie, comme un fantôme des Noël passés.
Comme un souvenir en métal et en circuits imprimés.
Après Tout est une novella d'à peine 120 pages qui raconte le retour de l'être aimé, en l'occurrence la femme d'un écrivain qui ne s'est jamais remis de la mort de sa compagne, elle-même artiste et illustratrice.
Le récit alterne entre une ligne temporelle au présent où l'on découvre en même temps que l'endeuillé une technologie stupéfiante — sorte de mélange d'androïde et d'I.A ultraperfectionnée — qui offre une copie plus vraie que nature d'une personne disparue, et une ligne au passé où le narrateur semble s'adresser directement à sa femme décédée.
D'un côté, Ian Soliane raconte le contact entre la « nouvelle » Claire et son mari, de l'autre, le même mari nous raconte la découverte de la maladie de sa femme et sa lente déchéance physique.
Cette maladie, c'est la terrible SLA — Sclérose Latérale Amyotrophique — , une pathologie dégénérative neuronale qui paralyse lentement le patient jusqu'à sa mort par étouffement.
Une horreur, un enfer qui n'a aucun remède.
Ainsi, le lecteur va alterner entre un abîme de tristesse et une joie étrange, presque malsaine où le narrateur, incapable de faire le deuil de son épouse, met toute son énergie à aimer la créature synthétique qu'un certain Ivan, ingénieur génial s'il en est, lui a donné.
La prouesse technologique semble incroyable et, pendant un temps, l'amour semble renaître de ses cendres avec la frénésie carnassière des amants et la redécouverte des souvenirs, des douceurs, des saveurs.
Seulement voilà, quelque chose cloche.

Tandis qu'on suit la chute vers le néant et la descente aux enfers de la véritable Claire jusqu'à sa mort inéluctable, on comprend petit à petit que l'autre Claire n'est qu'un substitut qui n'arrivera jamais à la hauteur de la précédente, qui ne sera jamais elle.
C'est un récit d'autant plus touchant et cruel que notre narrateur met du temps à comprendre qu'il n'interagit pas vraiment avec cette nouvelle Claire comme il l'aurait fait avec sa femme décédée. Qu'il en sert tout autant qu'il l'aime.
Un sentiment de malaise s'installe lentement et se diffuse à travers le récit qui se voit contrebalancer par la sincérité poignante du narrateur, par sa douleur fulgurante et son incapacité totale à vivre sans la femme qu'il a toujours aimé. Ian Soliane joue l'équilibre et ne chute jamais, saisissant au coeur cette problématique épineuse du deuil et des sentiments ambivalents qui peuvent s'emparer des proches du défunt. Sans jamais en faire trop, sans jamais aller chercher la larme à son lecteur, mais simplement en montrant, sans tabou, sans faux-semblants.
En filigrane se pose alors la question de cette technologie et du niveau de conscience de Claire, de ce qu'elle peut bien ressentir et à quel point il est injuste pour elle d'être un substitut plutôt qu'un être à part entière. On ne peut s'empêcher de se dire que son destin est tout aussi triste et terrible que celui de son supposé mari pour qui elle n'est qu'une sorte d'objet transitionnel, qu'un fantasme ramené à la vie par un mauvais génie.
Ce qui impressionne enfin clairement dans cette novella, c'est l'authenticité du récit face à la maladie, au dépérissement de l'être cher et, finalement, à la dépression insurmontable qui ronge sa victime jusqu'à l'os et le laisse incapable d'aller de l'avant.
C'est une histoire d'amour, une grande histoire d'amour.
Où l'on pleure à la fin, seul, comme il se doit.

Aussi court qu'émouvant, Après tout s'interroge sur l'IA palliative, celle que l'on utilise pour contrecarrer les plans de l'existence. Ian Soliane saisit toute la complexité de cette question et livre, au passage, une histoire d'amour d'une beauté et d'une cruauté terrifiante.
Indispensable (et avec un bon paquet de mouchoirs).
Lien : https://justaword.fr/apr%C3%..
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Une intime substitution bio-informatique, une folie à deux qui n'en est pas tout à fait une : d'une écriture redoutable, un magnifique conte cruel et ambigu des avènements artificiels.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/06/26/note-de-lecture-apres-tout-ian-soliane/

Pas de note de lecture proprement dite pour « Après tout », roman de Ian Soliane paru en avril 2024 aux éditions Jou : l'ouvrage fait en effet l'objet d'un article de ma part dans le Monde des Livres daté du vendredi 21 juin 2024 (à lire ici). Comme j'en ai pris l'habitude en pareil cas, ce billet de blog est donc davantage à prendre comme une sorte de note de bas de page de l'article lui-même (et l'occasion de quelques citations du texte, bien sûr).

👽 Même si Ian Soliane joue à merveille avec les apparences, dans ce roman du contournement d'un tabou majeur quoique le plus souvent informulé, celui de la relation amoureuse (et sexuelle) homme-machine (ou homme-cyborg, fort loin toutefois de la tentative féconde et de la métaphore hybride de Donna Haraway), « Après tout » ne s'inscrit pas dans la confrontation directe inscrite dans l'ordre de l'abomination (même si certains protagonistes, à la découverte de ce qui se passe, s'y inscriront, eux, de plain pied). Nous ne sommes pas ici dans « La semence du démon » (1973) de Dean Koontz ou dans son adaptation filmique « Génération Proteus » (1977), ni même, dans un registre pourtant bien distinct dans chaque cas, dans « La survivante » (1985) de Paul Gillon ou dans le redoutable « Monique : toujours contente » (2002) de Valérie Guignabodet, avec Albert Dupontel.

C'est bien du côté de « L'inquiétante étrangeté » (1919) de Sigmund Freud, et de son application spécifique à la robotique par Masahiro Mori dans son « La vallée de l'étrange » (1970), étrangeté de traits, de mécaniques et de situations qui fournit sans hasard le cadre réel des séries télévisées suédoise « Real Humans » (2012) et russe « Better Than Us » (2018), que Ian Soliane produit son superbe effort : qu'il trouve à nouveau ici une écriture spécifique pour parcourir cette uncanny valley est l'un des joyeux miracles de cette « fable cruelle » (pour reprendre un élément du titre de l'article du Monde des Livres – titre qui ne dépend pas de l'auteur de l'article, rappelons-le) et néanmoins parfaitement et subtilement ambiguë.

🚀 Comme dans son remarquable « Basqu.I.A.t », paru en 2021 aux éditions Jou, Ian Soliane nous montre ici aussi, au passage, comment une écriture authentique et talentueuse, s'inscrivant volontairement dans une zone acquise à la science-fiction en tant que genre (l'intelligence artificielle et la bio-ingénierie, pour simplifier) sans en épouser toutefois les codes poétiques spécifiques (codes qui restent encore aujourd'hui largement à définir, malgré les efforts de théoriciennes et théoriciens tels que, parmi plusieurs autres, Darko Suvin et Fredric Jameson – même si cette quête-là n'est pas centralement la leur -, ou plus près de nous, Irène Langlet ou Simon Bréan), parvient à baliser une telle zone-frontière d'une manière neuve et puissante.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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critiques presse (1)
LeMonde
25 juin 2024
Un clone bio-informatique peut-il remplacer l'épouse adorée, morte trop tôt ? Une fable cruelle.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Pendant la mise en route du freeware, les yeux de Claire roulent dans ses orbites. Ça ne prend pas très longtemps. J’ai reculé d’un pas. Je la regarde. Elle me regarde. On se sourit. En fait, je la reconnais tout de suite. Je lui donne la main et elle me suit jusqu’au sofa en cuir. Je pose une tablette de chocolat devant elle, et la prie de s’asseoir. Je lui fais décliner son identité, préciser sa marque de chocolat préférée, la hauteur du Zouave du pont de l’Alma, puis je lui demande qui je suis, à son avis.
Les premiers mots sont assez pénibles. On dirait qu’il y a une sourdine dans sa voix. Je mets une bonne minute avant de comprendre que l’emplacement réseau se trouve sous l’aisselle gauche. Je lis la notice. « Surtout ne pas appliquer les doigts directement sur la peau.» Je n’applique pas directement les doigts sur la peau. J’ai très envie de lui toucher les cheveux. Soudain Claire se lève et m’informe que la température de la pièce est à dix-huit degrés. Elle me fixe droit dans les yeux, inspire profondément, et je retiens mon souffle, parce que Claire me prend la main et l’approche de son visage, la reniflant. Sa bouche s’ouvre et elle dit : j’ai froid. Il faut que je dise quelque chose. Je lui dis de ne pas bouger, je vais chercher une robe, mais arrivé sur le palier, je suis secoué d’une crise de larmes. Je pleure si fort que je suis incapable de pousser la porte. Je pleure peut-être pendant cinq minutes, devant la porte. Il me faut un bon quart d’heure avant de trouver le courage de revenir dans le salon. Claire ne me prête aucune attention à l’instant où je m’assieds : elle joue avec ses doigts, je crois qu’elle compte ses doigts.
Mon amour, tu as ressenti des fourmillements dans la main droite, une faiblesse dans la jambe droite. Un matin, tu ne réussis pas à serrer le pouce et l’index. J’ai toujours, devant mes yeux, l’image de ton visage, sortant de la salle de bain : tu te trouvais «une tête horrible» et te sentais « bizarre ». Tu en parlas à une amie médecin qui te conseilla de faire un électromyogramme. «On verra ça plus tard.» Pour toi, c’était psychologique. Tu travaillais trop. Tu commenças à t’inquiéter quand une paralysie s’installa au niveau du pouce droit.
Claire a été livrée avec une paire de chaussons et une combinaison en tissu bleu jetable. Je lui enfile sa robe vert clair à col montant. Ce n’est pas n’importe quelle robe. Ses pieds : j’évite les chaussettes à motif. Dans mon souvenir, Claire n’aimait pas ça. En se levant elle dit « où est le ciel ? » et je réponds « assieds-toi », mais au lieu de s’asseoir, elle traverse la pièce à pas lents. C’est sa démarche. Elle fait plusieurs fois le tour du chat endormi sur la chaise. On dirait que c’est la première fois de sa vie qu’elle voit un chat. Tout à coup elle s’écarte et me demande de choisir une musique, une musique que je voudrais qu’elle chante. Nous passons l’heure suivante à nous tenir la main. La première soirée s’écoule ainsi, sur le canapé du salon. Claire dort la tête sur mes genoux. Je lui caresse les cheveux.
Mon amour, tu passas un premier électromyogramme, puis un second, plus approfondi, avec un neurologue de l’hôpital de la Salpêtrière. On te diagnostiqua six mois après l’apparition des premiers symptômes : à 39 ans, tu étais atteinte d’une S.L.A. Ta première réaction fut de rester assise un long moment, contemplant tes mains. Tu ne voulais pas aller voir sur Internet pour ne pas te faire peur. Tu restas de longues minutes à regarder Roger Federer, Elon Musk, Jennifer Lopez se verser un seau d’eau glacée sur la tête, et la grimace d’Eminem, tu t’es passé et repassé cette grimace, qui symbolisait le ressenti des personnes à l’annonce du diagnostic de cette maladie : le froid, l’effroi, la paralysie de tout le corps.
S pour «sclérose» (correspond à un durcissement). L pour «latérale» (car elle s’attaque au côté de la colonne vertébrale). A pour «amyotrophique» (une privation de nutrition des muscles). La SLA ou Maladie de Charcot est une maladie neuro-dégénérative non contagieuse dont on ne connaît pas précisément l’origine et pour laquelle aucun traitement réellement convaincant n’a pour le moment été mis au point. Bien sûr, tu es aussitôt entrée dans le schéma «pourquoi nous», mais une fois que tu avais dit ça, tu te contentas de nous serrer dans tes bras et de nous embrasser. Je suis coriace – c’était ta phrase. Nous sommes partis quinze jours à Honfleur, à la « Coconnière ».
Ses yeux verts, ses longs cils, ses épais cheveux bruns, son petit nez busqué, ses narines arquées, ses pommettes bien dessinées, son sourcil en accent circonflexe, ses petites épaules, sa cicatrice sur le ventre, le petit grain de beauté au coin de la bouche, et le truc qu’elle fait, avec sa lèvre supérieure, en sortant légèrement la langue, donnant parfois l’impression qu’elle va se mettre à rire. Pendant les deux ou trois premiers jours, Claire m’adresse à peine la parole. Elle déambule d’un endroit à l’autre dans l’appartement. Je ne peux en détacher les yeux. Elle s’agite dans la pièce, va examiner les stores, soupèse dans sa main le cendrier en verre, caresse le cadre du tableau rouge pendant de longues minutes (je l’ai laissé en évidence au-dessus du bureau). Mais surtout, très vite, le problème du chat se pose : il grogne, crache, hérisse le poil dès qu’elle approche. La réponse est toujours la même : Claire se fige instantanément. Certains mots- clefs la relancent. Ça va tout de suite mieux. Il y a des moments où je ne peux m’empêcher d’approcher et de lui toucher le visage. Je la retourne. Je la regarde. Je lui remets sa mèche derrière l’oreille. Ce matin, à ma grande surprise, elle a avalé une barre chocolatée. Je l’écoute mastiquer. Indubitablement, elle mastique. C’est marrant. Elle mange les noisettes séparément de la barre. Je me demande si elle digère les aliments solides, et je ne sais pas ce qu’il advient des déchets. Le mémo du professeur a été très instructif : Claire urine peu, ses excréments sont très secs, et elle ne transpire quasiment pas. Par contre elle pleure à chaudes larmes, et elle rit quand on la chatouille. Le professeur recommande : «sourire», «acquiescer régulièrement», «contact visuel», «pas de lunettes de soleil», «aucune action les premières nuits», «et si vous allez aux WC, laissez la porte entrebâillée», «parce que oui, n’oubliez pas qu’avant toute chose, votre femme doit redécouvrir son environnement.» Mais qu’il ne s’inquiète pas : je la couche en laissant le plafond allumé. Puis je me déshabille dans la salle de bain et me mets au lit. Je guette son profil. Les battements des yeux. La nuit, si je lui demande, elle peut les fermer pour dormir, je préfère.
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Un homme totalement chauve, visage dur, mâchoire carrée, cigare aux lèvres, la quarantaine, avec un regard sévère et concentré : c’est Ivan. Il fait partie de ces individus qui correspondent parfaitement à leur prénom. Ivan commence par déchirer la capsule d’un tube de gel et en badigeonne soigneusement le menton de Claire. À la consultation, Claire passe des tests, celui des charades, de l’équilibre, flexion des genoux, adhérence au sol, etc., le professeur lui demande de marcher, de sauter, d’écrire, de suspendre son manteau à la tringle, etc. L’entretien dure entre trente à trente-cinq minutes. Nous faisons une sorte de bilan de cette première semaine. Nous passons en revue les mimiques, les intonations, les petits gestes, et son désir de danser. Nous nous attardons sur le choix d’expressions employées par Claire (depuis quelques jours, c’est le classique «mon chéri», un «dadou» sort parfois, et d’autres surnoms du genre chaton ou baby). Détail à noter : lors d’un baiser, j’ai eu un goût salé dans la bouche. J’ai aussi remarqué qu’elle émettait un genre de «petit prout» tous les jours à la même heure, vers trois heures moins le quart. Ivan me dit que ce n’est pas forcément une mauvaise chose. De temps en temps, il tapote le grain de beauté, pour affiner d’infimes réglages, et Claire ne quitte pas des yeux le mouvement de sa main. Il dit qu’il compte sur moi pour la bichonner. Je lui dis que je n’ai pas l’intention de faire quoi que ce soit d’autre. J’apprends au passage que l’assistance est gratuite, et concernant l’amour, Ivan me dit en riant qu’elle dispose d’un processeur d’environ trois cents cœurs. La nuit d’après – la septième nuit suivant son retour – est une nuit où je me réveille avec Claire qui est en train de me masturber et me susurrer à l’oreille des choses obscènes au sens de vraiment obscènes, et une fois fini, elle dépose un baiser sur chacun de mes yeux.
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À Paris, on ne voit plus les étoiles. La pollution a avalé les étoiles, et bientôt on ne verra plus que la Lune, ou plutôt ses reflets, car la Lune elle-même, on ne la verra plus.
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Pleurer seul, c'est la seule façon de pleurer.
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