SHIROW Masamune, The Ghost in the Shell, [攻殻機動隊, Kôkaku kidôtai], Perfect Edition, traduction depuis le japonais [par] Anne-Sophie Thévenon, Grenoble, Glénat, coll. Seinen Manga, [1989-1991] 2017, 344 p.
À CÔTÉ
Je dois avoir un souci : je n'ai jamais compris le culte autour du Ghost in the Shell d'Oshii Mamoru, adaptation animée du manga éponyme de Shirow Masamune qui va nous intéresser (enfin, faut voir…) aujourd'hui. Mais il est vrai que je l'ai vu une fois seulement, il y a bien longtemps de cela…
Comparaison n'est pas raison, mais, à l'époque (le dessin animé est sorti en 1995, mais je ne crois pas l'avoir vu avant l'an 2000), il me semble qu'il était plus ou moins inévitable d'envisager l'anime d'Oshii au prisme d'un prédécesseur plus que notable, l'Akira d'Otomo Katsuhiro, adaptant pour l'écran son propre manga légendaire. Or, si je n'ai lu intégralement et dans de bonnes conditions la BD originelle que tout récemment, j'ai vu et revu le dessin animé d'Otomo des dizaines de fois ces vingt dernières années. C'est un immense chef-d'oeuvre – une baffe colossale en son temps, dont je ne me suis toujours pas remis, chaque revisionnage étant en fait une nouvelle occasion de me reprendre ladite baffe colossale. Alors, devant les éloges adressés à Ghost in the Shell, je m'attendais à quelque chose de différent, sans doute, parent cependant, et au moins aussi fort, voire, laissaient entendre certains, encore meilleur...
Ma déception n'en a été que plus douloureuse. Je suppose que, techniquement, c'était assez irréprochable, oui… Mais les personnages, l'histoire, le fond ? Tout ça m'avait laissé passablement froid. Ou peut-être pas tout à fait… Je crois qu'il y avait aussi une part d'agacement – et que le visionnage d'autres films d'Oshii, Avalon en tout cas, a pu susciter également : l'impression que le réalisateur, très content de lui, prenait la pose en usant délibérément d'une narration hermétique et d'effets de réalisation certes « très jolis » mais avant tout tape-à-l'oeil. Cocktail dangereux – car l'association de ces deux traits évoque parfois la pure façade prétendant à la profondeur quand il n'y a finalement que du creux derrière ; et avec Oshii j'ai vraiment eu cette impression à plusieurs reprises…
Bon. Il faudrait sans doute que je retente l'expérience – en la complétant aussi par Innocence, j'imagine, voire Stand Alone Complex… Avec un peu de chance, je comprendrais enfin pourquoi « GITS » est si super top que ça…
AVANT L'ANIMATION
Toutefois, si l'anime a phagocyté la licence Ghost in the Shell, devenant une oeuvre culte en tant que telle, et largement indépendante, par elle-même, disons, avec sa propre « mythologie », il y avait bien à l'origine, là encore, un manga, dû cette fois à Shirow Masamune.
Un nom qui ne m'était pas totalement inconnu à la base – car, dans mes souvenirs de l'époque bien lointaine où Glénat commençait à publier des mangas en France, avec des choses aussi cruciales qu'Akira d'Otomo Katsuhiro, d'abord et avant tout, ou un peu après Gunnm de Kishiro Yukito, un autre titre SF avait la faveur du public français découvrant la chose, et c'était Appleseed, dudit Shirow Masamune. Sauf que cette BD ne m'avait quant à elle vraiment pas laissé une impression favorable… Je n'en retenais, pour l'essentiel, que des héroïnes à gros nichons (ce qui me navrait alors même que l'adolescence m'infligeait ses fantasmes les plus moites et inavouables) et des méchas qui se frittaient, bim, bam, boum, dans des « récits » cyberlourds et souvent confus alors même qu'il ne s'y passait guère plus que du bim, bam, boum. Pareil souvenir ne signifie pas forcément grand-chose, je me suis pris une vingtaine d'années dans la gueule depuis, et mon point de vue a amplement eu le temps d'évoluer, mais cette réminiscence n'était tout de même pas très engageante – et je n'avais certainement pas l'impression d'une BD « intelligente », comme on dirait un peu plus tard de Ghost in the Shell, l'anime s'entend, qu'il s'agissait d'un film « intelligent ».
Car voilà : aux sources du film plébiscité d'Oshii Mamoru, il y avait bien un manga de ce Shirow Masamune, prépublié en 1989-1990 puis rassemblé en volume au Japon en 1991. Et The Ghost in the Shell avait également eu droit à une traduction française, en 1996 (après la sortie du film, donc), mais sur le mode « bâtard » assez typique alors de l'éditeur, empruntant à l'édition américaine de la BD, et sous la forme d'un grand format cartonné, avec sens de lecture occidental.
La récente sortie de l'adaptation (américaine) « live » de Ghost in the Shell (qui a fait jaser, mais n'étant pas fan de l'anime, et n'ayant pas vu le nouveau film, je ne peux certes pas prendre part au « débat ») a tout naturellement fourni un bon prétexte à Glénat pour republier « le manga culte » dans une édition plus respectueuse – entreprise qui a visiblement sa faveur en ce moment, puisque sont aussi ressortis dans ces conditions Akira et Gunnm (plus exactement, c'est en cours). Et comme Ghost in the Shell, en manga comme en anime, c'est un peu l'oeuvre de tous les superlatifs, on parle ici en toute simplicité de « Perfect Edition ».
PERFECT PERFECTION ?
Le manga de Shirow Masamune se décline en trois tomes, en fait trois BD différentes mais complémentaires, respectivement intitulés The Ghost in the Shell, la BD originelle, compilée en 1991, Ghost in the Shell 2 : Man-Machine Interface, et Ghost in the Shell 1.5 : Human Error Processor – ces deux derniers volumes rassemblant des éléments publiés entre 1991 et 1997. La réédition des trois tomes est au programme de Glénat, mais je m'en tiendrai ici au premier, à « GITS à proprement parler »… et à vrai dire, vu ce que j'en ai pensé, il est peu probable que je m'inflige les deux autres et en traite un jour sur ce blog.
Il s'agit donc d'une « Perfect Edition », ce qui va plus loin que le simple respect du format original (en y incluant le nombre de volumes : nous avons ici un unique tome, il y en avait deux dans l'ancienne édition française) et du sens de lecture japonais (merci), ou encore le sous-titrage d'onomatopées autrement laissées telles quelles en katakana – même si ces divers aspects sont bien sûr fondamentaux.
Cela va aussi plus loin, a priori, qu'une nouvelle traduction… hélas guère convaincante ? En fait, je n'en sais rien – je ne sais pas ce que ça donnait avant, en 1996, et je suis incapable en l'état de dire si la mocheté consternante du texte, flagrante, et son caractère ésotérique sans pertinence, doivent être imputés à une traduction déficiente, ou à des défauts inhérents à l'oeuvre originelle ; mais je penche pour cette dernière possibilité, et concède à la traductrice qu'il n'est guère aisé, et éventuellement pas dans les attributs du traducteur, de rendre beau et fluide ce qui ne l'est pas à la base et de rendre compréhensibles aux autres des choses que l'on ne comprend pas soi-même, pour la bonne et simple raison qu'elles sont de toute façon incompréhensibles de manière générale dans le bouquin initial…
Aheum. J'y reviendrai.
« Perfect Edition », donc : cela signifie semble-t-il que cette édition a été conçue avec la collaboration active du mangaka – d'où certains choix éditoriaux. Ainsi de cette jaquette, devenue courante dans l'édition francophone de manga, mais qui a ici pour originalité de reprendre exactement celle de la BD japonaise, tout particulièrement dans ses rabats, comprenant avertissement et postface de l'auteur – et qui ont donc été laissés ici en japonais. La traduction nous est certes fournie, mais en toute fin de volume (ce qui n'est pas sans poser problème, si ça se trouve, j'y reviens bientôt). Noter aussi que ces divers paratextes de l'auteur datent de l'édition en volume originelle de 1991 – pas de retour sur l'oeuvre post-adaptation par Oshii, etc., donc.
Mais d'autres aspects sont peut-être plus problématiques ? Un, notamment – une caractéristique marquée de la série, ou même semble-t-il plus largement du mangaka : l'emploi de très nombreuses notes « de bas de page », expression pas très bienvenue car ces pavés de texte se trouvent en fait… partout, dans tous les « caniveaux ». Ces « notes de bas de case », disons, c'est semble-t-il une chose à laquelle Shirow Masamune tient particulièrement, mais qui ne facilite guère la lecture de la BD, qui en retire quelque chose de lourd et oppressant… Dans son « avertissement » (qui, euh, du coup, n'apparaît en français qu'à la toute dernière page de la BD, c'est ballot...), l'auteur déconseille de lire ces notes au fil de la découverte du manga, car cela affecterait forcément le rythme de la narration. Putain, c'est peu dire… Mais quoi ? Relire la BD pour prendre en compte les notes que j'ai fini par laisser tomber – pour des raisons que je détaillerai plus tard ? Et puis quoi, encore ! J'en ai déjà assez chié avec la première lecture… Ajoutons cependant que cette « Perfect Edition » se montre plus ou moins indécise dans la gestion de ces notes – en conservant parfois le texte japonais minuscule, mais en le sabrant le plus souvent, et en employant par ailleurs en français une police pas le moins du monde typée BD, qui contraste avec le reste de la planche ; je ne dis pas que c'est malvenu, mais, pour le coup, l'effet est assez différent de celui produit par la version originale japonaise.
Une dimension appréciable, par ailleurs, de cette « Perfect Edition », concerne la part assez notable de planches en couleurs – bien plus que dans tout autre manga (non colorisé à la truelle comme Akira en son temps) que j'ai pu lire. Or c'est du beau boulot, qui s'accorde bien au dessin noir et blanc global – pas un gadget, mais un apport notable car traité avec le plus grand sérieux. Rien à redire.
Et reste LE SUJET qui a excité bien des fans, à en juger par les réactions colériques endémiques çà et là sur le ouèbe : deux planches ont été virées par rapport aux précédentes éditions, semble-t-il une séquence d'orgie lesbienne parfaitement gratuite et sans la moindre utilité narrative. Scandale ! Censure ! Absolument pas Perfect ! Sauf qu'il semblerait bien que cette décision a été prise, non par l'éditeur français, mais par Shirow lui-même – comme un désaveu un peu tardif (mais pas moins légitime) de cette gratuité façon fan-service sordide, inutile et malvenue. Que les intransigeants se rassurent : il reste pourtant bien assez de filles dénudées à gros nichons dans la BD.
Bon, lançons-nous, et voyons un peu de quoi tout ça peut bien parl...
HEIN ? QUOI ? PARDON ?
Parce que là : putain de problème.
C'est peu ou prou incompréhensible. Même quand on fait abstraction des « notes de bas de case » envahissantes (et inutiles dans 99 % des cas). Mais l'hermétisme de la narration n'a pour autant rien à voir avec celui de l'anime : si Oshii Mamoru pouvait perdre son spectateur, pour autant que je m'en souvienne, en n'en disant guère, Shirow Masamune, lui, en disait parfois beaucoup trop, et sans vraie pertinence.
Ceci, et presque paradoxalement, d'autant plus que les premières pages nous plongent sans préavis dans une sorte d'actionner bourrin au possible, avec des fusillades et des explosions dans tous les sens. Or il y a assurément de quoi se paumer dans cette BD, et surtout dans ces premières pages toutes de bruit et de fureur, où il est peu ou prou impossible de saisir les personnages et leurs motivations, ou une trame quelle qu'elle soit : bim, bam, boum, nichons, boum, jargon pseudo-scientifique, notes de pseudo-science-et-pseudo-philo-mes-couilles, bim, jargon mi-SF, mi-espionnage qui ne veut absolument rien dire, considérations techniques abstruses pour fanas des flingues, bam, et soudains accès de caricature qui tombent comme autant de cheveux sur la proverbiale soupe.
Et je n'y ai absolument rien compris. Shirow fait beaucoup d'efforts pour nous assurer qu'il y a quelque chose à comprendre – voire, attention bonhomme, quelque chose d'intelligent, de fin, si ça se trouve…
Mais, bordel, ce type est tout bonnement incapable de raconter une histoire – est-on porté à croire à ce stade, du moins, si la généralisation est sans doute un peu abusive. Les bonnes âmes prétendront peut-être qu'il « expérimente », mais permettez-moi d'en douter… Et ces planches ultra-chargées n'arrangent certes rien à l'affaire – et ce alors même que la mise en page s'avère globalement assez sage, voire très sage (« notes de bas de case » exceptées ; mais elles sont alors particulièrement envahissantes, et déjà parfaitement inutiles à tous points de vue),
Je ne crois pas avoir jamais autant ramé sur les cinquante premières pages d'une BD. Chaque case me confirmait un peu plus que l'ensemble était incompréhensible, illisible, et, last but not least, horriblement chiant. Et probablement assez concon, loin de l'image sophistiquée de l'anime d'Oshii Mamoru – lequel, pour le coup, et même si je n'en ai pas des souvenirs très précis, s'est à l'évidence livré à un vrai travail d'adaptation, pour le moins : à bien des égards, Ghost in the Shell le film d'animation et Ghost in the Shell la BD, bien loin d'êtres des « parents », sont mutuellement, bien au-delà de la singularité de chaque support, des antithèses ; la mélancolie vaguement snob de l'un étant l'exacte opposée de l'humour potache et gamin lourdingue de l'autre (car ce seinen est finalement très ado) – nulle scène contemplative ici, ou d'introspection, juste des explosions, des poses érotico-vulgaires et gratuites et des punchlines navrantes. Boum.
Du coup, soyons francs : j'ai failli abandonner ma lecture. Et c'est quand même pas tous les jours, en bande dessinée… Certes, il y a finalement assez peu, j'avais peiné sur le minable premier tome de Les Vacances de Jésus et Bouddha, de Nakamura Hikaru. Mais, bon, j'avais persévéré : j'ai bien fini par conclure à la nullité de ce volume, et j'ai pesté pour mes quelques euros bien mal investis… Mais The Ghost in the Shell, à cet égard, c'était bien plus agaçant – j'ai eu l'impression d'avoir été escroqué, en fait. Mais attention : pas tant parce que ce n'était pas dans le ton du film, ce qui serait revenu à critiquer l'oeuvre parce qu'elle ne correspondait pas ce que je supposais et éventuellement souhaitais, réflexe toujours malvenu, mais parce que, même dans son registre de BD d'action, je trouvais ça horriblement mal fait.
Bon, j'ai persévéré là aussi… Globalement, passé les cinquante ou disons les cent premières pages (sur 350), la BD a commencé à m'apparaître moins illisible, moins incompréhensible, et, bon, j'ai tenu jusqu'à la fin… Mais le bilan demeure très négatif – et ça m'a vacciné pour la suite. Parce que, prestigieux anime ultérieur ou pas, le fait demeure que la BD originelle est mal foutue à tous points de vue, avec des personnages sans âme (c'est bien le propos…) et des récits affligeants de vacuité en dépit des circonvolutions absconses d'une narration qui se croit peut-être futée mais n'est en définitive que maladroite et terne.
En dépit de sa coloration cyberpunk aguicheuse et de son paratexte pointu, et du fait de cette narration systématiquement déficiente, The Ghost in the Shell s'avère finalement être un énième manga d'action, et, c'est là le principal problème, vraiment pas des plus convaincants.
C'est au mieux médiocre.
Vraiment au mieux.
LE MAJOR KUSANAGI ET SES AMIS
Bon… Essayons quand même de voir ce qui se passe dans tout ça…
La quasi-totalité des héros de la BD sont affectés à la « Section 9 », une sorte de brigade policière d'élite louchant (ou même un peu plus que cela) sur l'espionnage et la barbouzerie, dans un Japon futuriste mais pas si éloigné, vers 2030 (je reviendrai sur le cadre par la suite). Elle a pour champ de compétence la criminalité technologique de pointe, disons. le patron de la Section 9 est un certain Aramaki, une sorte d'hyper-espion faussement bureaucrate, nabot très sec et d'une discipline carrément militaire ; son faciès simiesque (bien vu, pour le coup) le rend immédiatement reconnaissable (un atout de la BD, bien plus globalement, mais pas sans corollaires, et j'y reviendrai) – ça n'en fait pas forcément un personnage très intéressant pour autant, dans la mesure où il est une collection ambulante de clichés du patron d'agence d'espionnage… Mais admettons.
Les véritables héros de la BD sont cependant les agents sous ses ordres – et, s'ils ont été repris dans l'anime d'Oshii Mamoru, ils n'ont pas toujours grand-chose à voir avec ces déclinaisons plus tardives.
Le film est clairement focalisé, pour autant que je me souvienne, sur le personnage de Kusanagi Motoko, qui se fait appeler, sans forcément avoir de vraies raisons protocolaires, le Major Kusanagi. La cyborg au corps féminin est sans doute aussi la principale héroïne de la BD, d'où les honneurs de la couverture et une place non négligeable dans les épisodes, mais elle n'est finalement pas si mise en avant que cela. Certes, elle joue le rôle d'officier de terrain dans les opérations de la Section 9, et dispose peut-être (très éventuellement) d'un surplus de charisme inaccessible à ses sous-fifres (sans doute localisé dans son improbable chevelure, à faire s'évanouir Dick Rivers). Mais je crois que les ressemblances s'arrêtent là. Ceci étant, mes souvenirs du film d'Oshii Mamoru étant pour le moins flous, je me trompe peut-être totalement… Mais disons que j'avais le souvenir d'un personnage assez froid et mélancolique, si très efficace dans sa partie. La BD ne donne pas vraiment cette image : Kusanagi y est expansive et blagueuse, colérique et indisciplinée mais à la manière d'un cliché sur pattes, et certes pas portée sur l'introspection ou la contemplation. En fait, elle n'est qu'une cyber-héroïne comme une autre – sans la moindre personnalité, et c'est bien le souci : à tou
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