L'ouvrage date un peu mais la démarche menée par les auteurs est très intéressante. D'abord parce qu'elle est pluridisciplinaire : elle croise la philosophie, la psychologie du travail, l'ergonomie. Puis, en raison de son propos même qui consiste à interroger la place de l'homme dans l'évolution des processus de production. Quatre étapes significatives de la maîtrise du processus de fabrication sont identifiées : l'artisanat, la mécanisation, l'automatisation, l'automation. A chaque nouvelle évolution, c'est bien le rôle du travailleur et sa place, sa possible créativité ou prise d'initiative qui sont interpellés.
A partir du début du XVIIIème siècle, on dispose de moyens mécaniques qui permettent de substituer la machine à l'homme. Jusqu'alors, l'outil est le prolongement du bras du travailleur –la matière est travaillée en elle-même, au rythme propre à chaque individu, chaque pièce produite est unique. La mécanisation évince d'une certaine façon l'homme de la production : elle modélise, uniformise, laisse moins de place à la singularité. le rythme est donné par la machine, le travailleur est à son service.
Au début du XXème siècle, se développe la spécialisation des opérateurs à travers le découpage de la tâche, la parcellisation. L'ouvrier perd la maîtrise de la production de l'objet dans sa totalité : il n'intervient plus que sur une opération de transformation, c'est le fordisme et le taylorisme, le travail répétitif à la chaîne. le bureau des ingénieurs calcule comment optimiser chaque minute, chaque geste. le développement de ce mode de fabrication permet de produire en grandes séries, ce qui favorise l'accès à la consommation pour un plus grand nombre.
Automatisation et automation semblent éloigner encore plus l'homme du travail direct sur l'objet. Son rôle est à présent de « surveiller » la machine, d'intervenir en cas de problème. Concrètement, il ne participe plus à la production : « le couple homme/machine cède la place à un couple équipe/système de production ».
Il ne s'agit pas de neutraliser les bienfaits de l'automation, même si le propos développé dans l'ouvrage se situe clairement dans un débat idéologique autour du capitalisme, mais plutôt d'essayer de comprendre comment l'homme arbitre pour lui-même, et dans le collectif de travail, ces différentes évolutions ; comment il peut investir des tâches qui a priori sont répétitives et qui le dessaisissent d'un pouvoir sur son activité. C'est un peu ardu par passage mais la réflexion menée ici pose bien les bases d'un courant de pensée qui s'incarne notamment dans l'approche ergologique.
Commenter  J’apprécie         10
[...] en séparant délibérément l'élaboration des tâches de leur exécution, le système de production capitaliste a réussi pendant longtemps à masquer la place réelle des travailleurs dans le procès de production.