Le poème-préambule, “en guise d'autoportrait“, interpelle et lance la couleur du recueil : et si la poésie était le seul autoportrait possible ? Quand l'art du fragment rejoint le chant, n'a-t-on pas là, dans les creux du langage, la plus fidèle tentative d'autobiographie qui soit : l'être dans toute sa mouvance, ses chantournements, ses blancs, sa volonté de vivre et son refus de mourir, son caractère insaisissable d'âme que les mots, fuyants, peinent à exprimer (” celui qui dit je/ n'est jamais en français dans le texte“), le caressant et le relâchant aussitôt ?
Et si le vers, par sa puissance d'évocation, sa brièveté, sa densité, pouvait seul prendre “le nom/ en écharpe“, et avec lui l'art de jouir, de vivre & de mourir, de celui qui s'anaphore à travers le texte ?
Lisant
L'envers de tous les endroits, on retrouve, éclatée en poèmes, l'âme belle et complexe du diariste Schlechter, oscillant entre “plénitude & manque“, mort & vie. le voilà qui lutte contre la fascination du néant, cet “envers de tous les endroits“, cette “volupté absolue” ; contre la mort inéluctable à laquelle il refuse de se résigner (“faudrait de tout ça/ bêtement animalesquement se divertir, non ?” ; “une résolution aussi touchante que grotesque / clamser pas encore, pas ici, pas maintenant“) ; contre l'angoisse de l'éphémère (“de toute façon ce sera une autre logique / une autre philosophie, une autre économie / quand tu seras aux urgences / il n'y aura plus d'urgence“), du temps qui passe et qui engloutit tout (“où où où sont-ils partis / tous ceux que nous avons connus / où sont-ils maintenant / et nous, où irons-nous, où où“), la couleur des fleurs, le sourire des hommes, la vanité du scarabée (“on est toujours l'insecte de quelqu'un” – “narquois clin d'oeil” à “l'ami Franz“).
Le poète glisse dans le texte, à mots simples, presque enfantins parfois (“y a la mort qui vient / et le soleil qui brille“), l'envers de son âme : refusant de céder au lamento, il déjoue avec humour la peur de la disparition, apprend à conjuguer l'appréhension de la mort avec des éclats de vie quotidienne (“la chambre que je préfère / est ta chambre fleurie / et peu importe alors / si ton beau drap est mon linceul“), à voir dans cette promesse d'ombre un moyen de dédoubler l'éclat de la vie (“la bougie ne donne de lumière que si elle brûle / elle n'est vive qu'en mourant“), de substituer au manque toutes les plénitudes. Interrogeant la mort, avec une âme aussi contemplative que rieuse (“l'endormissement et son euphorie / nous les connaissons déjà / alors pourquoi l'autre somnolence / nous ferait-elle peur? “), il fait alors jaillir d'autant plus haut la joie et la jouissance de la vie.
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