Au commencement était la Bible aurait pu être le titre de l'essai que nous livre
Thomas Römer, bibliste émérite qui se livre à une exégèse aussi savante que passionnante des textes sacrés pour démonter autant que remonter l'énigme de Dieu.
Message divin ou invention des hommes ? Il nous faudra lire jusqu'au bout les 352 pages minutieusement -inlassablement- pourrais-je dire- écrites par le spécialiste incontesté et virtuose des innombrables sources qu'il explore pour nous livrer les clé de cette universelle énigme.
Si Dieu a créé l'homme celui-ci le lui a bien rendu pour paraphraser
Voltaire qui, au-delà de ce pied de nez, reconnait que notre Créateur a emprunté de multiples visages avant devenir le Dieu unique que nous vénérons aujourd'hui.
À l'origine, Dieu emprunta l'identité de multiples divinités protectrices mais pas toujours clémentes : dieu de violence et d'orage, de destruction et de souffle, avant d'être aux temps premiers nommé El, Adonay, Élohim, jusqu'à ce que le tétragramme Yhwh s'impose bien qu'on interdira de le prononcer.
Selon le Deutéronome, Yhwh serait l'un des fils de El, le dieu cananéen des steppes arides du Sud du pays d'Ougarit en Syrie actuelle, à moins qu'il ne trouve son origine d'une « divinité » de montagne d'où Moïse aurait reçu les Tables de la Loi, bien que ce personnage mythique n'ait laissé aucune trace historique.…On se perd en conjectures et leurs abondantes apparitions, au cours de cet essai, ouvriront autant de nouvelles pistes et interprétations qui, au moins, permettent d'affirmer que
l'Ancien Testament n'est décidément pas une source historique fiable.
Progressivement commence à naître le Dieu des Hébreux, supérieur au dieu des enfers, et représenté par le « roi principal » qui absorbe les fonctions des dieux El et Baal » et devient le Dieu d'Israël qu'il n'a jamais été depuis l'origine du peuple élu. le nom «Israël» est mentionné pour la première fois sur une stèle égyptienne de Merneptah datant d'environ 1220-1205 av. J.-C., où il désigne un groupe en Palestine que le pharaon a combattu.
Miraculeusement épargnée en -701 par les Assyriens, la colline du Temple va incarner le lieu central symbolisant l'unicité de Jérusalem qui se purifie d'autres divinités concurrentes comme la déesse féminine Ashérah longtemps associée à Yhwh et fait progressivement place à un monothéisme universel.
Ainsi tombe la légende de quelques Bédouins qui se seraient réunis autour d'une oasis pour inventer Dieu, laissant place à un autre conte plein de « bruits et de fureur » où l'image d'un Dieu unique s'est progressivement construit. le dieu du buisson ardent ne manque pas de nous surprendre dans cette prodigieuse enquête et jeu de cache -cache dans lesquels nous embarque
Thomas Römer. On apprend encore que le prophète
Jérémie vient d'Anatot et que Jérusalem a été construite autour du nom de Salimou, la déesse du crépuscule et même que le peuple d'Israël a vénéré un autre dieu car s'il avait toujours été le peuple de Yahvé, il se serait appelé Israyahvé, ou Israyahou. Parmi d'autres trouvailles, et à grand renfort d'indices topographiques et archéologiques, on apprend à relire et à relativiser le récit de l'Exode et que le peuple d'Israël ne s'est probablement pas enfui du pays des pharaons !
Bien des révélations de ce genre risquent de faire sursauter des croyants les plus traditionnels des trois grandes religions monothéistes, mais, nous rassure l'auteur, une religion n'est jamais stable ou immuable. Il y a toujours des éléments en évolution. Terreau du christianisme et de l'islam, le judaïsme ne prend sa forme actuelle qu'à partir du IIe siècle avant notre ère. En définitive, la Bible hébraïque ressemble plutôt à un patchwork de traditions compilées, réécrites puis remises en forme après plus d'un millénaire d'histoire. Il faudra attendre les débuts du christianisme pour que le judaïsme se structure sur le modèle qu'on lui connaît aujourd'hui. Après avoir subi une hellénisation croissante, différentes sectes se forment, favorables à cette évolution (les sadducéens) ou hostiles (les pharisiens et les esséniens), jusqu'à ce que les pharisiens conservateurs l'emportent.
Le remarquable travail de clarification de Römer fait la démonstration de l'extraordinaire richesse des outils pluridisciplinaires qu'il utilise pour faire ressortir comment opèrent les mécanismes des forces historiques (violence religieuses, rivalités et intégration des minorités) qui ont donné naissance au monothéisme.
En conclusion, la lecture de «
l'invention de Dieu », austère mais d'une construction impeccable, nous guide dans les arcanes de l'histoire sans soutenir de thèse religieuse. Cette synthèse très éclairante, animée par une constante démarche scientifique, bouscule tout notre paysage intellectuel. Une remarque néanmoins : Si une lecture critique de la Bible permet de distinguer le mythe de la vérité historique, elle ne peut ignorer que ces écrits millénaires s'inscrivent dans une culture et une société dont le caractère historique, voire anachronique, ne doit pas masquer le potentiel subversif du message divin ni faire obstacle au dialogue des cultures et des croyances qu'elles véhiculent.