En 1889, à l'âge de 24 ans,
Rudyard Kipling décide de conquérir le milieu littéraire anglais et débarque à Londres, où sa réputation de jeune prodige des lettres anglo-indien le précède. Son arrivée suscite bien des attentes et des convoitises. Mais le jeune écrivain se révèle peu désireux de s'adapter aux usages de la bonne société londonienne. A la compagnie de ses pairs, il préfère celle des clochards tels Hans, un jeune danois qu'il héberge et à qui il fait fumer de l'opium. Ses habits coloniaux, ses sautes d'humeur et son refus des conventions le classent rapidement parmi les excentriques. Loin de son Inde natale,
Kipling se montre angoissé et méfiant. Il accepte néanmoins de rencontrer, par l'intermédiaire d'
Henry James, Wolcott Balestier, un agent littéraire américain qui souhaite en faire son client. Peu à peu, une amitié particulière va se nouer entre les deux hommes ainsi qu'avec la soeur de Balestier jusqu'à former un trio inséparable aux relations ambigües.
Dans cette biographie romancée,
François Rivière se concentre sur la jeunesse du futur prix Nobel de littérature. Il révèle avec finesse toute la fragilité de cet écrivain mystérieux qui semble se tenir en dehors de la société, en spectateur (p. 191 : « Rudyard, lui, a toujours l'impression de vivre en dehors du monde réel et, n'étant qu'une ombre, de ne pouvoir étreindre que des ombres… »). Il suggère par petites touches l'ambigüité sexuelle du personnage, homosexuel mais qui finira par se marier avec Caroline Balestier. Il montre aussi le déracinement dont souffre le jeune écrivain, né en Inde de parents britanniques expatriés, qui le renverront brutalement en Angleterre pour faire son éducation avant qu'il ne puisse revenir en Inde. Et l'on aimerait en savoir plus sur la vie qu'a menée
Kipling en Inde et qui n'est ici que brièvement évoquée.
Car
François Rivière se concentre sur les années londoniennes de
Kipling. La plongée qu'il nous offre dans le monde artistique de la capitale britannique de la fin du 19e siècle est particulièrement réussie. Nous rencontrons ainsi l'écrivain
Henry James et le peintre Edward Burne-Jones, oncle de
Kipling et découvrons le monde de l'édition à travers le personnage de Wolcott.
Dans ce roman, l'auteur alterne les points de vue en intercalant dans le récit la correspondance de Caroline Balestier avec sa soeur ou en donnant la parole à Georgina Craik, la tante de
Kipling. Ce personnage de vieille fille, romancière à succès, est savoureux. C'est par son entremise que le lecteur apprend les détails de l'enfance malheureuse du jeune écrivain car elle a choisi de vendre tout ce qu'elle sait de
Kipling à un journal. Ce procédé narratif redonne du rythme à un récit qui démarre trop lentement. Malgré certains passages ennuyeux, cette biographie m'aura donné envie d'en savoir plus sur l'homme et sur son oeuvre.