Plus elle travaillait son rôle, pire c'était. Rien, le grand néant, une nullité totale. Aucune inspiration. La gitane enflammée ne lui inspirait aucune réaction. Pourtant, elle mourait d'envie de se glisser dans la peau de cette femme indomptable, passionnée et tragique, à l'âme consumée. C'était à n'y rien comprendre. Le plus rageant était qu'elle se sentait très proche de Carmen. Sinon, comment aurait-elle pu remporter l'audition parmi toutes les solistes présentes ?
Il avait beau ne pas comprendre un seul mot d'italien, tout lui semblait limpide : la jeune femme malade, ses réticences face à l'amour, sa manière de noyer le désespoir de la tuberculose dans l'étourdissement des fêtes, son émotion masquée face à l'amour candide d'Alfredo. Il n'avait même pas reconnu la jeune femme éblouissante qui était sur scène tant Anne-Laure était transformée par son rôle. Et il la trouvait tout simplement sublime. La longue robe de soie sauvage bleu nuit soulignait avantageusement ses courbes généreuses.
Elle s'imaginait, se ressentait fière, joueuse, insaisissable et désirée.
Rien n'y fait, menace ou prière,
L'un parle bien, l'autre se tait ;
Et c'est l'autre que je préfère,
Il n'a rien dit, mais il me plaît.
Chaque fois qu'il croisait une admiratrice, il était tétanisé. Il avait beau prendre des airs un peu bravaches et moqueurs, Sébastien était en fait d'une timidité maladive vis-à-vis du sexe faible. Surtout lorsqu'« elles » avaient le malheur de lui plaire. Celles qui s'attendaient à un homme viril, macho, gouailleur et tombeur, étaient déroutées par son attitude ambivalente et distante. Ce qu'elles ne savaient pas, c'est que derrière son surnom de Joli Cœur se cachait un indécrottable romantique.
Ce désir d'absolu, d'aimer librement, sans jamais se soumettre, n'appartenir à personne tout en restant prisonnière de sa condition raisonnait en elle comme un écho à sa propre vie. Elle aussi avait aimé passionnément, souffert et fait souffrir.