Les invalidés

Présenté par Claire Marin, philosophe Avec Frédérique Bonnet-Brilhault, médecin, pédopsychiatre et professeure Bertrand Quentin, philosophe
Un individu – à savoir « ce qui ne peut pas être divisé davantage » – est unique et n'est semblable à personne, alors qu'une personne, conscience et sujet, est semblable à toute autre personne, égale en droits, en valeur, en dignité. En d'autres termes, si l'individu est une particularité, la personne est non une généralité mais l'appartenance à un « genre », le genre humain. A la fois être social, être moral et être biologique, la personne ne cesse jamais (fût-elle défunte) d'être une personne, quand bien même – sous peine de sanction, y compris pénale – elle bafouerait les lois de la société, contreviendrait aux règles morales en vigueur ou, du point de vue biologique, manifesterait soit une déficience soit un excédent de capacités. Il arrive cependant qu'on dise, par exemple de son enfant, qu'il n'est pas « comme les autres ». Est-ce pour souligner l'originalité du petit individu, dont on serait marri qu'il fût « comme tous les autres », sans particularité aucune, sans relief, banal et interchangeable ? Certes non. Dire d'un enfant qu'il n'est pas « comme les autres » s'entend aussitôt comme constat d'une différence, tantôt par excès de possibilités, d'aptitudes, d'habilités physiques ou intellectuelles – l'enfant « surdoué », disait-on – tantôt par défaut de ces facultés, limitation ou restriction des capacités expressives, perceptives, relationnelles, dont la cause est à chercher soit dans un trouble de santé invalidant, soit à la suite d'un accident ou d'un traumatisme, soit par l'altération temporaire ou de longue durée des fonctions physiques, motrices, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques. On sait que la « différence », même lorsqu'elle ne tient à aucune diminution de la capacité de se mouvoir, d'agir ou d'entendre mais à la couleur de la peau, à l'orientation sexuelle ou au credo religieux, provoque souvent le rejet – ce qui est plus que paradoxal, puisque c'est par la différence qu'il y a vie et que nous nous constituons comme êtres humains. Mais comment comprendre et admettre que l'« enfant pas comme les autres » puisse le provoquer, s'il est et demeure une personne égale à toutes les autres en respect et dignité, et si, comme individu, il appelle une attention particulière, un surplus de prévenance et de sollicitude, un regard porté sur lui qui lui dise : « Je ne regarde pas ce que tu ne peux pas faire, mais je regarde ce que tu sais faire ! » ?