Qu'ajouter à ce que l'on a dit sur Ponge , sa poésie au quotidien , sa langue trompeusement simple et sa capacité à réenchanter le monde ? Je l'aime tout simplement.
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LE LEZARD
Lorsque le mur de la préhistoire se lézarde, ce mur de fond de jardin ...
-- il en sort un petit animal formidablement dessiné, comme un dragon chinois, brusque mais inoffensif chacun le sait et ça le rend bien sympathique. Un
chef-d'oeuvre de la bijouterie préhistorique, d'un métal entre le bronze vert et le vif-argent, dont le ventre seul et fluide, se renfle comme la goutte de mercure. Chic un reptile à pattes ! Est-ce un progrès ou une dégénérescence ? Personne, petit sot, n'en sait rien. Petit saurien.
...
Ce petit poignard qui traverse notre esprit en se tortillant d'une façon assez baroque, dérisoirement.
Arrêt brusque. Sur la pierre la plus chaude. Affût ?
ou bien repos automatique ? Il se prolonge. Profitons-en ; changeons de point de vue.
Le LEZARD dans le monde des mots n'est pas pour rien dans ce zéde ou zèle tortillard, et pas pour rien sa désinence en ard, comme fuyard, flemmard, musard, pendard, hagard. Il apparaît, disparaît, réapparaît. Jamais familier pourtant. Toujours un peu égaré, toujours cherchant furtivement sa route. Ce ne sont pas insinuations trop familières que celle-ci. Ni venimeuses. Nulle malignité : aucun signe d'intelligence à l'homme.
Une sorte de petite locomotive haut-le-pied. Un petit train d'allégations hâtives, en grisaille, un peu monstrueuses, à la fois familières et saugrenues, -- qui circule avec la précipitation fatale aux joutes mécaniques, faisant comme eux de brefs trajets à ras de terre, mais beaucoup moins maladroit, têtu, il ne va pas buter contre un mur, le mur : très silencieux et souple au contraire, il s'arrange toujours, lorsqu'il est à bout de course, d'arguments, de ressorts dialectiques, pour disparaître par quelque fente, ou fissure, de l'ouvrage de maçonnerie sur lequel il a accompli sa carrière...
...
Ou bien on l'aperçoit tout à coup, plaqué contre la muraille : il était là, immobile.
"L'appareil du téléphone"
Lorsqu’un petit rocher, lourd et noir, portant son homard en anicroche, s’établit dans une maison, celle-ci doit subir l’invasion d’un rire aux accès argentins, impérieux et mornes. Sans doute est-ce celui de la mignonne sirène dont les deux seins sont en même temps apparus dans un coin sombre du corridor, et qui produit son appel par la vibration entre les deux d’une petite cerise de nickel, y pendante.
Aussitôt, le homard frémit sur son socle. Il faut qu’on le décroche : il a quelque chose à dire, ou veut être rassuré par votre voix.
D’autres fois, la provocation vient de vous-même. Quand vous y tente le contraste sensuellement agréable entre la légèreté du combiné et la lourdeur du socle. Quel charme alors d’entendre, aussitôt la crustace détachée, le bourdonnement gai qui vous annonce prêtes au quelconque caprice de votre oreille les innombrables nervures électriques de toutes les villes du monde !
Il faut agir le cadran mobile, puis attendre, après avoir pris acte de la sonnerie impérieuse qui perfore votre patient, le fameux déclic qui vous délivre sa plainte, transformée aussitôt en cordiales ou cérémonieuses politesses… Mais ici finit le prodige et commence une banale comédie.
LA GARE
Il s'est formé depuis un siècle dans chaque ville ou bourg de quelque importance ( et beaucoup de villages, de proche en proche, se sont trouvés atteints par contagion),
Un quartier phlegmoneux, sorte de plexus ou de nodosité tubéreuse, de ganglion pulsatile, d'oignon lacrymogène et charbonneux.
Gonflé de rires et de larmes, sali de fumées.
Un quartier matineux, où l'on ne se couche pas, où l'on passe les nuits.
Un quartier quelque peu infernal où l'on salit son linge et mouille ses mouchoirs.
Où chacun ne se rend qu'en des occasions précises,
...
Un lieu d'efforts maladroits et malheureux, où rien ne s'accomplit sans grosses difficultés de démarrage, manœuvre et parcours,
...
,-- et jusqu'au bureau du chef de gare, cet irritable gamin :
C'est LA GARE, avec ses moustaches de chat.
LA METAMORPHOSE
Tu peux tordre au pied des tiges
L'élastique de ton cœur
Ce n'est pas comme chenille
Que tu connaîtras les fleurs
Quand s'annonce à plus d'un signe
Ta ruée vers le Bonheur
....................................................
Il frémit et d'un seul bond
Rejoignit les papillons...
p.78
14 JUILLET
Tout un peuple accourut écrire cette journée
sur l’album de l’histoire, sur le ciel de Paris.
D’abord c’est une pique, puis un drapeau tendu
par le vent de l’assaut (d’aucuns y voient une baïonnette),
puis — parmi d’autres piques, deux fléaux,
un râteau — sur les rayures verticales du pantalon
des sans-culottes un bonnet en signe de joie jeté en
l’air.
Tout un peuple au matin le soleil dans le dos. Et
quelque chose en l’air à cela qui préside, quelque chose
de neuf, d’un peu vain, de candide : c’est l’odeur du
bois blanc du faubourg Saint-Antoine, — et ce J a
d’ailleurs la forme du rabot.
Le tout penche en avant dans l’écriture anglaise,
mais à le prononcer ça commence comme Justice
et finit comme ça y est, et ce ne sont pas au bout de
leurs piques les têtes renfrognées de Launay et de
Flesselles qui, à cette futaie de hautes lettres, à ce
frémissant bois de peupliers à jamais remplaçant
dans la mémoire des hommes les tours massives d’une
prison, ôteront leur aspect joyeux.
p.45
Blanche Cerquiglini vous présente "La rage de l'expression" de Francis Ponge aux éditions Folio+Lycée.
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Note de musique : © mollat
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