Comment parler de ce livre sans le réduire à une partie seulement de ce qu'il est ?
Disons d'abord que c'est l'occasion de découvrir – peut-être, pour certains, de redécouvrir – ce personnage hors norme et profondément mystérieux. Issu d'une petite bourgeoisie – son père était cordonnier à Canterbury -, il entre tardivement à la King's school, avant d'obtenir l'une des trois bourses offertes par l'archevêque Matthew Parker, grâce à laquelle il peut entrer au Corpus Christi College de l'Université de Cambridge. On sait qu'il n'y est guère assidu, mais on ignore à quoi il passe son temps. Il obtient son Master of Arts en 1587 : alors que l'on hésite à lui donner son diplôme suite à des rumeurs – il se serait converti au catholicisme et aurait voulu s'inscrire au lycée anglais de Reims – une intervention du conseil privé de la reine, Élisabeth Iere, permet qu'il soit finalement diplômé. le courrier en question évoque l'idée que
Christopher Marlowe aurait « agi par ordre et discrètement, rendant ainsi bon service à sa Majesté ». La formulation est suffisante pour donner à penser qu'il pourrait avoir mené des missions d'espionnage pour le compte du royaume.
Personnage mystérieux, donc, d'autant plus que les quelques épisodes de sa vie connus avec certitude le sont tout autant. On retrouve ainsi la trace d'une rixe dont il est l'un des acteurs, à l'occasion de laquelle un homme est tué. Marlowe est acquitté, et son ami Watson finalement considéré comme en situation de légitime défense. En 1592, il est arrêté à Flessingue pour tentative de contrefaçon d'argent. Bref, le personnage est éminemment sulfureux, jusque dans ses écrits, puisqu'il est régulièrement accusé de tenir des propos athées. Enfin, tout aussi compliqué dans l'Angleterre de l'époque, son homosexualité peut à tout moment lui valoir la pendaison…
Le personnage, on le voit, est éminemment romanesque. Et l'idée d'une passion dévorante avec Jane n'en est que plus crédible.
Mais tout cela ne serait rien sans la plume d'
Emmanuelle Pirotte. Alors même qu'elle traque les corps, les sécrétions, les humeurs, on reste dans un moment de poésie, là où on aurait pu sombrer dans le sordide.
Cela fera-t-il cet effet là à tout le monde ? Peut-être pas. Peut-être certains resteront-ils à la lisière de cette poésie et ne se laisseront-ils pas embarquer dans cette histoire. Mais, en tout cas, avec moi, cela a fonctionné !
Je ne peux pas ne pas signaler également la façon dont l'auteure amène également des questionnements profondément actuels. Ainsi, quand les pensées de Christopher nous sont exposées et qu'elle écrit :
« Aimer un homme lui semble si simple à présent, sans risque, excepté celui de finir au bout d'une corde. La femme est le défi suprême de l'homme, elle est son ultime croisade, sa destinée, son impossible conquête, celle qui lui résistera encore lorsqu'il aura soumis les peuples, possédé toutes les terres immergées, les océans et les pôles, les bêtes et les fleuves, le ciel, les étoiles. Parce qu'il échouera à la comprendre et à l'aimer, l'homme n'aura de cesse de la soumettre et de l'humilier, jusqu'à la fin des monde. »
Ce livre, c'est enfin l'histoire de ce sentiment d'amour, de sa naissance à sa possible fin, entre deux êtres qui, tour à tour, se cherchent et se fuient, se protègent et s'abandonnent, se frottent et se blessent. Et tout cela est criant de vérité…
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