On est en Italie, une Italie du Sud, ou peut-être est-ce la Corse, villages isolés, où souvent il n'y a pas de médecin. « Libero Solimane, fils d'Argentina Solimane et d'elle seule, petit-fils d'Argentu Solimane dernier des chevriers » est revenu s'installer dans son village de naissance, pour combler ce manque. Il en était parti une quinzaine d'années plus tôt, après un été qui l'a marqué à vie, le dernier de son adolescence.
Un roman à l'histoire tragique, aux personnages forts, âpres comme la vie dans ces terres pauvres, où il ne fait pas bon refuser la protection des mafieux, où des hommes meurent d'avoir voulu s'en libérer, où des adolescents se voient contraints de porter les armes, où une femme trop belle et trop jeune pour son mari va embraser le corps des jeunes du village et en rendre fou certain. Quelques jours, cet été-là vont révéler à Libero qui il est, il n'en reviendra pas indemne et ne voudra ensuite que fuir ces lieux, où pourtant il reviendra, fermant la boucle.
J'ai été emportée par ce roman, à l'écriture belle et sans fioriture, à l'égal des paysages qu'elle décrit. J'ai aimé ces personnages que l'on imagine sans peine, ces femmes gardiennes de la vie, rompues à la douleur, droites et fières :
« À force de coups du sort, les femmes d'ici devenaient plus dures que le granit, des Atlas condamnées à porter les vivants et les morts, trop de morts. Elles enfilaient les habits de deuil pour ne plus les quitter, finissaient par flotter dedans à mesure que l'âge les rabougrissait. Puis on leur ôtait leur croix en or, une alliance incrustée dans les plis de la peau et on les enterrait dans leurs robes noires. »
Et puis Libero et Raphaele, fils du baron qui règne sur le village, rêvent. Ils rêvent de partir, ils rêvent de renverser le cours des choses, ils rêvent d'un monde plus juste. Les évènements qu'ils vont vivre, réunis dans une folle épopée, qui les mènera dans la grotte des fées, vont les révéler à eux-mêmes.
Une narration efficace, ponctuée de quelques chapitres relatant les pensées de personnages vivants ou morts, qui ont tous un lien avec ces adolescents, qui laissent entrevoir secrets et réponses à certaines questions, une écriture poétique, une atmosphère oppressante et pourtant envoutante, où le drame se profile dès les premières lignes, tout cela ajoute au charme puissant de ce roman d'apprentissage où en toile de fond plane l'ombre d'
Antigone, des extraits de la pièce de
Sophocle venant ponctuer le récit.