Livre lu dans le cadre de mon défi personnel de lectures 2024, item "Un livre dont le titre et la couverture évoquent une oeuvre.
J'avais
L'Exil de la Joconde dans ma PAL, je n'avais jamais lu Jean-Louis Perrier, je m'intéresse de longue date à la Seconde Guerre mondiale et je n'y connais vraiment rien en oeuvres d'art, donc quatre bonnes raisons pour relever ce challenge tout en satisfaisant ma curiosité de néophyte.
Et ma curiosité a été largement satisfaite !
Bien sûr, j'avais eu vent des aventures parisiennes de
Rose Valland, cette résistante d'un genre particulier qui, à l'intérieur du musée du Jeu de Paume, a oeuvré dans l'ombre pour, à la fois répertorier un très grand nombre des oeuvres volées par de hauts dignitaires nazis (celles appartenant aux musées français, mais aussi celles dont de nombreuses familles juives ont été spoliées) et identifier celles écartées voire détruites par eux car considérées comme résultantes d'un "art dégénéré".
Mais, si je connaissais la personne, je n'étais pas au fait de la façon dont cette démarche a pu être menée. Ni même, après-guerre, comment son fameux répertoire a permis d'en retrouver un certain nombre, de les restituer ou encore d'indemniser certains descendants des propriétaires.
Ce que je ne savais pas, c'est que cette démarche n'était pas seulement un acte héroïque individuel, mais bien un acte collectif réunissant des centaines de personnes, sur l'ensemble du territoire national. Une stratégie mise en place par un certain nombre de fonctionnaires d'Etat français (avec, il faut en convenir, la complicité de certains responsables allemands amoureux de l'Art) en vue de sauvegarder, tout ou partie du patrimoine artistique du pays.
C'est cette thématique, cette histoire-là que se propose d'évoquer Jean-Louis Perrier dans ce roman, à travers la narration du jeune Roland Courrèges. L'action débute en 1943, à Toulouse. Alors qu'il se destine au métier des lettres, la guerre le rattrape avec l'injonction faite à tous les jeunes Français de rejoindre les rangs du STO (service de travail obligatoire). Son ami d'enfance Robert Antignac l'en détourne très vite (il était alors facile pour des jeunes désoeuvrés d'être ensorcelés par la propagande française et nazie) et lui ouvre une autre voie providentielle : celle de retourner dans le village lotois de son enfance où se tient également l'auberge dont sa mère est propriétaire.
Il y rencontrera les hommes du Louvre (conservateurs et autres gardiens et manutentionnaires) venus cacher dans les châteaux environnants les oeuvres du patrimoine français, pour les protéger de la voracité des nazis.
De cette rencontre naîtra pour lui, à la fois, une découverte initiatique des plus enrichissantes (y compris pour la lectrice néophyte que j'étais) dans le domaine de l'art pictural, une grande amitié avec l'un de ces "protecteurs" engagés, un amour naissant (et vite réprimé) avec une riche héritière locale connue alors qu'il était enfant et une aventure qui le mènera au plus près de la réalité de ladite question de la "protection" du patrimoine.
En effet, sous prétexte de "Kunstschutz" (principe louable de préservation du patrimoine artistique pendant les conflits armés, afin de le protéger des aléas de la guerre), certains responsables nazis n'ont cherché, en fait, qu'à voler ces oeuvres pour leur propre compte et à s'enrichir de ce qui ne leur appartenait pas, tant en France que dans tous les pays envahis par le IIIe Reich. Au passage, on notera que les Américains n'ont rien eu à envier aux Allemands, car eux-mêmes se sont chargés après-guerre de certaines "récupérations" providentielles.
D'ailleurs, saviez-vous qu'il existe encore à ce jour, sous l'autorité du Ministère de la culture, un "inventaire des oeuvres privées récupérées en Allemagne et non réclamées" (environ 2000 oeuvres) ?
Une trame romancée permettant d'évoquer à la fois cette question d'importance, tant pour les musées de notre pays, tant pour les artistes concernés (on hallucine lorsqu'on découvre les noms des peintres considérés comme dangereux) que pour toutes les personnes qui ont pu être spoliées de leurs droits, mais aussi l'engagement héroïque de personnes totalement méconnues du grand public (les conservateurs, les transporteurs, les gardiens, les restaurateurs quand c'était nécessaire, les propriétaires des châteaux ayant accueilli et caché ces oeuvres). Hormis les figures historiques,
Rose Valland, figure notoire et le Comte Franziskus Wolff Metternich (conservateur allemand de 1928 à 1950 responsable au sein de la Wehrmacht du Kunstschutz), je n'ai pu retrouver la trace des noms évoqués dans le roman. Est-ce à dire que les noms ont été changés pour préserver leur anonymat ? Ou qu'ils ont été totalement oubliés ? Je ne sais... Les châteaux lotois (ou ailleurs) cités, eux, semblent bien exister.
L'histoire personnelle romancée du personnage Roland Courrèges est somme toute anecdotique puisqu'elle ne sert que de prétexte au reste. Par contre, ce qui m'a totalement séduite ce sont la prose et le style de l'auteur, sa grande capacité de description des paysages, des ambiances et surtout des oeuvres dont il est question.
Par les yeux de son personnage principal, mais aussi par la voix des professionnels de l'Art qui, en quelque sorte, l'éduquent, le lecteur a accès à une somme d'informations précieuses lui donnant ainsi l'opportunité de s'intéresser aux toiles évoquées (d'ailleurs, il est à noter qu'il sera très peu question de la Joconde en réalité dans ce livre), aux peintres concernés et d'une façon générale à la façon d'interpréter une toile.
J'ai donc lu ce roman avec mon portable à mon côté. Chaque fois qu'une toile était évoquée, j'allais voir la photo de celle-ci et prendre, rapidement, des renseignements sur son histoire. Ma lecture a été de fait quelque peu décousue, mais elle m'a permis de prendre toute la mesure de mon ignorance dans ce domaine.
Cela sert aussi à cela les livres : titiller la curiosité des lecteurs afin de les inciter à en savoir plus, à enrichir leurs connaissances, à explorer des univers méconnus.
J'ai aussi aujourd'hui envie d'en savoir plus sur l'histoire personnelle et professionnelle de
Rose Valland.
Et puis, le registre de langue est assez soutenu, ce qui change en ces temps de déshérence culturelle et est très agréable à lire. J'ai aussi eu à chercher la définition de certains mots de vocabulaire dont je ne connaissais pas le sens. Je ne suis pas certaine de pouvoir, à terme, les retenir mais je me dis que c'est toujours ça de pris.
Donc, ma conclusion est que ce fut une intéressante découverte livresque. Je préviens que ce n'est pas forcément "facile" à lire, tant les références culturelles sont nombreuses, et l'univers particulier... mais c'est indéniablement un petit roman de nature à sensibiliser sur la question de la spoliation des Juifs et des pays envahis, de la préservation des oeuvres du patrimoine et de façon plus générale sur l'apport de la peinture, de la culture dans nos vies.