Danny a grandi sans mère, partie quand il avait trois ans. Il ne partage pas grand-chose avec un père distant, Cyril, en dehors de cette tournée mensuelle pour récupérer les loyers des nombreux appartements que celui-ci possède : Danny sera l'héritier, il doit apprendre le métier. Il est cependant chouchouté pa
r un trio de femmes, sa soeur plus âgée de huit ans, et deux domestiques qui l'entourent de leur affection.
Mais il y a la maison :
la maison des Hollandais, peuplée des tableaux des premiers occupants, ces Hollandais, majestueuse, immense (imaginez une salle de bal au troisième étage), impressionnante, à l'architecture surprenante, offerte pa
r un homme plein de bonnes intentions à sa femme qui la prend en horreur et finira par en partir, y abandonnant ses enfants. Cette maison qui va susciter la convoitise d'Andrea, qui deviendra la deuxième femme de Cyril, par fascination et désir pour cette maison, et finira, à la mort du père par en chasser le frère et la soeur. Et Danny ne deviendra jamais l'héritier de son père.
Cette maison va rythmer le roman. Elle est omniprésente, que ce soit dans l'enfance de Danny, ou après leur départ quand Maeve, sa soeur et lui-même se retrouvent dans leur voiture garée devant la maison à la contempler en évoquant le passé. Elle est l'élément déclenchant des deux évènements majeurs de l'enfance de Danny, le départ de sa mère et le remariage de son père, qui vont peu ou prou conditionner la suite de son existence.
Ann Patchett est une conteuse hors pair : Elle nous raconte cinquante ans de la vie de Danny, cinquante ans d'une relation entre un frère et une soeur, relation marquée par cette maison, dont ils ont été dépossédés. Ce récit passe d'une époque à une autre, entremêlant les épisodes de l'enfance et ceux de la vie adulte de Danny, avec en plus les relations par certains personnages d'événements antérieurs à la naissance de Danny. Les passages d'une époque à l'autre sont fluides, et enrichissent la narration.
Les relations entre les personnages sont l'élément clé de ce livre, relation entre Danny et sa soeur, relation complexe et parfois envahissante, mais aussi relation de Danny avec sa femme, entre sa femme et sa soeur, de Danny avec son professeur de Chimie, ou encore celle de sa soeur avec son employeur. Elles sont décrites tout en finesse, dans leurs complexités, leurs ambivalences, leurs non-dits.
Les personnages sont parfois pris au piège de choix de vie qui ne sont pas les leurs, Ainsi Danny va s'engager dans de très longues et très couteuses études de médecine, dans une tentative absurde à l'initiative de sa soeur pour vider le fonds créé par leur père pour l'éducation des enfants de
la maison des Hollandais (Andrea a deux filles qui doivent aussi pouvoir bénéficier de ce fonds), Ce fonds étant tout ce qu'il leur reste de leur père. Danny deviendra médecin, mais n'exercera pas, Il deviendra à l'égal de son père propriétaire et gestionnaire de logements. Ainsi la femme de Danny qui épouse un futur médecin, et n'acceptera jamais vraiment l'abandon de la carrière par son mari.
Je me suis plu à suivre Danny, pris quasiment en otage par sa soeur, à la fois salvatrice, puisqu'elle va s'occuper de lui pendant toute son enfance et le recueillir quand il est chassé de la maison mais aussi tyrannique, qui lui impose des choix qui ne sont pas les siens, qui l'enferme dans une rancoeur et un regret du passé qui s'imposeront toute sa vie au détriment parfois de sa vie amoureuse et familiale.
C'est un livre dont l'histoire et les personnages continuent à vivre dans un recoin de mon esprit. J'avais beaucoup aimé le premier roman de l'auteure,
Orange amère. Celui-ci ne m'a pas déçue, bien au contraire