Ito Ogawa est une autrice qui m'émeut, me bouleverse, m'apaise, adoucit mes peines, me console. J'aime la délicatesse et la légèreté qui transparaissent dans son écriture, la pudeur et la générosité de ses personnages, la douce lumière qui transparaît dans ses thématiques pourtant difficiles.
Cette fois-ci, je dois avouer que, même si
Ito Ogawa est une autrice qui me touche, j'ai hésité avant de lire son dernier roman. La lecture doit être un moment de détente, de relâchement et non une source de malaise, d'angoisse, ou de tristesse.
Le thème de son nouveau roman est celui de la fin de vie. Tout le monde a connu, dans sa vie, des moments difficiles, maladie, deuil, autant d'épreuves qui restent gravées dans la mémoire. C'est un sujet que j'évite en littérature, trop de mauvais souvenirs envahissent alors mes pensées et me perturbent.
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La narratrice de ce roman, Shizuku, est une jeune femme de 33 ans. Atteinte d'une forme grave de cancer, elle choisit de passer les derniers jours de sa vie près de la mer, sur la magnifique île aux citrons, dans un établissement de fin de vie, la maison du Lion. Tout est fait pour répondre aux besoins des patients, leur apporter le plus de confort possible, soulager leurs douleurs et les aider à trouver la paix.
« L'île où je me rendais ressemblait à une colline en pente douce, aux allures de meringue, une meringue légère et aérienne. Les gens du coin la surnommaient l'île aux citrons, car c'était là qu'on cultivait autrefois la majeure partie des citrons du pays. »
Avec elle, nous rencontrons d'autres pensionnaires, jeunes et moins jeunes, qui deviennent pour quelques temps, une seconde famille.
Et puis il y a la chienne Rokka, adorable petite boule de poils, qui instinctivement, va se lier à la jeune femme et va être un précieux soutien, une belle source de joie et de réconfort.
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Les plaisirs simples de la vie, la cuisine, les repas, les promenades sur la plage, la musique, les odeurs de café torréfié, la joie de vivre de Rokka, ont une place importante dans l'histoire.
J'ai aimé goûter la chaleur du soleil sur ma peau, sentir les embruns de la mer caresser mon visage, me promener avec Rokka. J'ai apprécié toutes les petites attentions quotidiennes du personnel, des petits riens qui sont de magnifiques cadeaux pour alléger la peur et la colère de la jeune femme.
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J'ai particulièrement aimé le cérémonial du goûter qui permet de faire connaissance avec les autres pensionnaires : en effet, les résidents ont la possibilité de rédiger une demande de dessert, accompagné d'un petit texte permettant de le reproduire le plus fidèlement possible. A travers chaque texte, se dévoile tacitement, des souvenirs d'enfance, le passé et la personnalité de celui qui l'a écrit. Il ajoute une saveur supplémentaire à la friandise qui va être dégustée.
Chaque dimanche, un dessert est tiré au sort.
« Je me suis installée à ma table habituelle près de la cheminée et j'ai attendu le début du goûter. le douhua de Takeo, les cannelés de Patron, la tarte aux pommes de Momo, les mochis de Shima. Ces goûters étaient devenus une partie de mon corps, une partie de mon âme. »
Ce moment, très attendu, à la fois intime, chaleureux et apaisant, offre aux pensionnaires un moment de convivialité et de partage. Un moment qui mêle la gourmandise et la douceur de la vie, une part de soi et un souvenir qu'on laisse aux autres.
J'ai souri lorsque le cannelé a été choisi par un des pensionnaires.
« C'est dans un café, à Paris, que j'ai mangé le premier cannelé de ma vie. C'était un pur délice. C'était un goût que je n'avais jamais rencontré au Japon, un goût que l'on apprend à aimer une fois adulte. A cet instant, je me suis juré d'avoir un jour un café à moi, de devenir un expert en café, un maître en la matière, capable de préparer un café qui se marierait à la perfection aux cannelés. »
Je me suis forcément demandée quel gâteau j'aurais choisi à la place de Shizuku. Je suis très gourmande, mais je pense que j'aurais finalement choisi le Russe, qui comme son nom ne l'indique pas, est originaire du sud de la France, d'Oloron-Sainte-Marie plus exactement. C'est une pâtisserie très fine et légère, qui se compose de trois couches de biscuits moelleux, garnies d'une crème onctueuse au praliné, saupoudrée de sucre glace.
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Le décor, planté au coeur de l'île de Seto, apporte également une ambiance paisible et contemplative, à l'image de la couverture du roman. Les paysages baignés de lumière, la mer et sa large palette de couleurs sont d'une beauté saisissante.
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Ito Ogawa livre, dans un style empreint de poésie, de sobriété et de pudeur, une profonde réflexion sur la maladie, la souffrance et la mort. Il y a bien sûr des sentiments de colère, d'incompréhension, d'injustice, mais aussi des liens de confiance et d'estime qui se créent.
C'est une histoire qui parle également de la vie et de l'amour, de l'importance des relations humaines, du réconfort que procurent des plaisirs simples, de la famille et des souvenirs qui perdurent après la mort.
« le plus important, c'est de vivre l'instant présent. de le ressentir à travers son corps. Voir, toucher, sentir, goûter, avec ses yeux, ses mains, sa langue, et en être émue… »
On ressent la sensibilité d'
Ito Ogawa dans ces beaux moments de paix, ces phrases lumineuses qui transcendent subtilement la douleur de la maladie, et l'acceptation progressive de la mort.
« Inspirez le malheur de toutes vos forces, transformez l'air que vous expirez en gratitude, et votre vie brillera bientôt. »
J'ai parfois craint que l'autrice tombe dans la mièvrerie, mais elle a habilement évité cet écueil.
Si un sentiment de tristesse et de nostalgie a assombri mes pensées pendant cette lecture, le ton calme, posé, réconfortant, sincère a déposé un voile d'apaisement sur mes émotions, m'invitant à apprécier pleinement chaque instant de ma vie avant qu'elle ne s'achève.
« Avant de faire la connaissance de Momo, j'avais les yeux rivés sur la mort, alors même que j'étais encore en vie. Je croyais que c'était cela, accepter de mourir. Mais elle m'a fait comprendre qu'accepter la mort, c'était aussi accepter son désir de vivre, de vivre le plus longtemps possible. Cela a été une véritable révélation pour moi. »
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Pour conclure, «
le goûter du lion » est un livre sombre mais lumineux, grave mais tendre, triste mais doux, pudique mais honnête, émouvant mais sans affectation outrancière. Dans ce roman, l'écriture d'
Ito Ogawa explore des sujets douloureux et graves tout en déployant une nouvelle fois toutes les qualités que j'aime chez cette autrice, explorant le caractère dramatique de l'histoire avec simplicité, poésie, et finesse.
Tout cela fait de ce roman une ode à la vie, une histoire délicate et touchante que je vous invite à découvrir.