Je viens de finir
Assez de Bleu dans le Ciel le dernier roman de Maggie O'Farrell, et une question me taraude ; pour quelle raison des écrivains, ou des artistes viennent chercher en Irlande un refuge, une paix intérieure ou peut être une tentative d'une vie nouvelle ?
Pour
Michel Houellebecq il y a sans doute l'envie de se régénérer, pour
Pierre Perret visiblement, passionné de pêche en rivière, c'est une certaine paix intérieure qu'il vient retrouver, et pour nos personnages ?
Le ciel bleu de l'Irlande est souvent dilué, estompé, mais y en a-t-il assez de bleu ? le bleu irlandais, est comme cette encre de Chine, elle porte tant de nuances que tous les fantômes du passé peuvent s'y faufiler en y laissant quelques tâches.
Ce livre est singulier, car deux femmes portent la quintessence du projet romanesque de l'auteur, fuir ou disparaître, deux facettes d'une même réalité, quitter le monde d'avant et se projeter dans l'inconnu, Daniel Sullivan fuit mais qui ? Sinon lui même peut être.
Dans ce triangle que je tente d'esquisser, entre Claudette Wells, l'ancienne star de cinéma, Nicola Janks universitaire indépendante et conférencière qui suscitera une passion amoureuse, et Daniel Sullivan qui traversera les premières années de sa vie de façon chaotique suite à son divorce, ce sont leurs enfants que Maggie O'Farrell, interpose, raconte, dissèque avec une tendresse et cette justesse que seuls une mère ou un père, peuvent exprimer.
Dans l'éloge de la fuite
Henri Laborit pose la question de notre libre arbitre, et de présenter la révolte comme une mauvaise réponse, à une vraie question, se révolter c'est courir à sa perte, je pense aussi à un autre livre qui projette le personnage central vers l'espérance, l'espérance d'un baiser, donc l'espérance d'un bonheur possible.
Dans ce roman à multiples facettes, c'est pourtant Daniel Sullivan qui charpente la construction vertigineuse de Maggie O'Farrell, et l'on serait tenté d'expliquer sa fuite perpétuelle, comme une dérobade à ses responsabilités, et peut-être dirons-nous, il n'a jamais su que fuir. Mais chez lui de multiples blessures se réveillent, elles cadencent sa trajectoire, depuis la perte de la garde de ses enfants, le décès de sa fille, jusqu'au poids du remord d'une passion avortée.
Non nous ne sommes pas dans une problématique de robinets qui fuient, nos personnages sont trop complexes pour se limiter à cette intrigue. Ce qui est passionnant dans ce labyrinthe d'événements familiaux, c'est le soin avec lequel la romancière a radiographié ses personnages, on sent leur fragilité, on devine leurs désirs les plus profonds, on partage leurs angoisses.
La culpabilité imprime à la douleur des sentiments la pesanteur de l'âme, au point de la ressentir à travers Nicola, son corps exsangue privé de vie est plombé, et son estomac vide pèse sur tout son être, l'empêche d'avancer, fuir ou disparaître ; peut-on faire le bon choix, quand la culpabilité vous noie ?
Cette culpabilité, suscitera la révolte chez Claudette et la fuite libératrice, cette culpabilité cette insidieuse invention de ténébreux évangélistes va engloutir, Sullivan, sauvé par son propre fils, perdu depuis son divorce et retrouvé après plus de vingt ans .
Ce roman est aussi la rencontre magique de l'enfant et d'un père, de Ari et de Daniel, qui lui demande: "je vois que tu as un bégaiement" et l'enfant de répondre à sa mère "j'ai trouvé un copain", après quelques échanges. La guérison de Ari comme le signe d'un possible.
Il faut s'enfuir en Irlande pour voir la pluie avant qu'elle ne tombe, déchiffrer le ciel, perdre son temps, effacer toute trace de culpabilité pour lire les romans Irlandais....