Citations sur Qu'est-ce que l'Occident ? (30)
Pas d’humanisme sans le droit privé et la protection juridique de la propriété. C’est le progrès que Rome a fait faire au droit qui a définitivement fait sortir l’humanité du holisme. L’Occident enregistrera cet acquis en même temps que celui du civisme grec. L’Orient l’ignorera.
(p.34)
Aristote précise qu’un régime où c’est « le peuple qui gouverne et non la loi » n’est pas un régime de liberté, car dans ce cas le peuple se comporte comme un « monarque collectif ». Ce qui caractérise un régime de liberté, ce n’est pas le fait des ordres soient donnés au nom de tous, mais qu’il n’y ait que des règles générales, non des ordres particuliers. Le juge ou le gouvernant ne donnent d’ordres particuliers que là où il s’agit de combler les lacunes inévitables de la loi. Ce que les Grecs ont inventé, en définitive, ce n’est donc pas, comme on le dit ordinairement, la démocratie, mais bien l’« Etat de droit ».
(p. 16)
On ne peut s’en remettre, pour concilier unité et différences, aux formules aujourd’hui à la mode, le multiculturalisme ou le métissage culturel. La première est aussi absurde qu’un jeu où chaque joueur prétendrait jouer selon ses propres règles. La seconde, qui consiste à rechercher un « plus grand dénominateur commun », est par définition appauvrissante.
(p. 124)
Il faut […] corriger une erreur courante.
L’expression « révolution industrielle » par laquelle on désigne souvent cette croissance économique spectaculaire des deux ou trois siècles derniers est trompeuse en ce qu’elle donne à croire que la cause efficiente économique aurait été l’industrie ou la technique en tant que telles, alors que c’est au contraire le développement de l’économie d’échanges qui a rendu possibles l’inventivité technique et la croissance de l’industrie. On sait d’ailleurs que de nombreuses inventions dont le principe avait été indubitablement découvert dès l’Antiquité ont « dormi » ensuite pendant de longs siècles sans jamais se traduire en productions techniques concrètes. C’est l’apparition de conditions morales et sociopolitiques nouvelles permettant l’entrepreneuriat, la liberté des initiatives, la possibilité de rencontrer de nouvelles offres et demandes sur des marchés toujours plus vastes qui a permis de réveiller et de multiplier ces potentialités.
(p. 96-97)
[…] les régions du réel social auxquelles est aveugle la culture technique des diplomates et des technocrates.
(p. 117)
Pour l’économiste péruvien Hernando de Soto […] : pas de développement économique sans mise en place d’un système fiable de droits de propriétés, comme il en existe aujourd’hui en Occident. Mais ces réformes juridico-administratives n’impliquent nullement une occidentalisation complète des valeurs. Les descendants des Incas ont un sens anthropologique de la propriété et une capacité d’entrepreneuriat...
[…] la civilisation technique ne consiste pas en une performance intellectuelle supérieure (dont sont capables des hommes de toute origine, à titre individuel, dès lors qu’ils sont adéquatement formés), mais en une division du savoir qui suppose elle-même une gestion libérale et pluraliste des échanges intellectuels et économiques, acquis proprement civilisationnel que de nombreuses cultures non occidentales n’admettent pas, puisqu’il impliquerait une transformation de l’ensemble des mentalités et des institutions sociales.
(p. 105)
Nous voyons que les civilisations non occidentales qui se développent le font toutes en s’occidentalisant à quelque degré. On sait que Mustafa Kemal a fait délibérément ce choix pour moderniser la Turquie. D’autres pays ont eu des attitudes plus nuancées et complexes, comme le Japon, apparemment « occidentalisé » à grande vitesse depuis l’ère Meiji et, plus encore, depuis l’américanisation de l’après-guerre, mais qui conserve les principaux traits de sa culture propre.
(p. 104)
S’il y a une spécificité de l’Occident, c’est […] que, ayant […] promu l’Etat de droit et en général les voies de droit, il a plutôt, semble-t-il, commencé à briser avec la logique de la pure puissance et à mettre un plus haut prix à la science et au développement socio-économique qu’à la prédation. On peut d’ailleurs voir là moins l’effet d’un progrès moral que d’un progrès intellectuel. C’est moins en raison de l’odieux de la politique de la force que de sa stérilité que, dans l’Occident moderne, les Machiavel et les Hobbes ont commencé à céder le pas aux Kant et aux Herbert Spencer.
(p. 103)
[…] les signaux fournis par le système des prix sont « codés ». Ils ne disent rien des raisons concrètes pour lesquels l’offre ou la demande de biens ont varié. Ils n’en constituent pas moins des guides cognitifs suffisants pour que l’agent du marché prenne les décisions adéquates compte tenu de ces variations. Ils sont informatifs par eux-mêmes, sans qu’aucune concertation concrète ne soit nécessaire entre les partenaires de l’échange. En ce sens, ils ne sont pas limités à la communauté restreinte au sein de laquelle une telle concertation serait concevable, et ils peuvent faire le tour de la planète sans perdre leur teneur cognitive. Le droit et les prix abstraits sont ainsi, dit Hayek, de véritables systèmes de « télécommunication » rendant possible une organisation des échanges à très grande distance.
(p. 96)