Paul Morand, un style, un milieu, une époque. Si je l'avais abordé à l'âge de 25 ans, je n'aurais pas accroché, je l'aurais étiqueté de ‘précieux et daté'.
Son regard d'homme du monde fréquentant les milieux huppés, son cosmopolitisme, son goût des
voyages et de l'exotique, son écriture qui me semble recherchée et affectée. ‘Métaphore hurlante', dit le préfacier. Il m'est arrivé de me laisser emporter par la virtuosité, le pittoresque. (Il parait que plus tard
Morand ait allégé son style, mais je ne connais pas encore sa période tardive.)
Morand raconte une époque, un moment, plus qu'il ne construit des histoires : l'univers des années 1920. Au fil des pages je me suis interrogée : qui est l'homme
Morand, quel est son temps et comment l'a-t-il vécu ? Rarement une oeuvre a éveillé en moi cette vive curiosité pour l'auteur.
Les notes de cette édition m'ont été très utiles, elles éclairent les sources d'inspiration. J'ai découvert également une préface de
Proust ; cependant il disserte sur le style en général et très peu sur
Morand.
Il y a des nouvelles que j'ai aimées et d'autres pas. Par exemple j'ai boudé les portraits de Clarisse, Delphine et Aurore, inspirés par des figures de la haute bourgeoisie londonienne. Je les ai trouvés longues et fabriquées. J'imagine l'auteur en dandy qui calculait ses effets.
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Quelques résumés :
Le musée Rogatkine
Une exquise description de Leningrad décrépie sous la neige. Dans la deuxième moitié, le portrait d'un certain Rogatkine : il se livre à une cérémonie occulte ; une voisine le dénonce, cela lui vaut la prison - le tout sur six pages.
La nuit hongroise
Le début nous fait découvrir une boîte de nuit à Vienne, peuplée par de jeunes danseuses, pas avares de leurs charmes (voir extrait à la fin). Une d'elle, juive hongroise, rentre à Budapest, consciente du danger (c'est la dictature de Horthy), et paye ce retour de sa vie.
Congo
Une jeune danseuse noire nommée Congo - personnage inspirée par
Joséphine Baker - abandonne son fidèle public et sa fortune parisienne : lors d'une séance de vaudou, une figure vue en rêve lui intime de retourner dans sa Louisiane natale.
Lorenzaccio ou le retour du proscrit
Cela se passe au Portugal, au temps de la République, au début des années 1920. Gonçalves, un ex-homme politique, la soixantaine, rentre au pays après quarante ans de geôle et d'exil. L'ancienne carrière du revenant reste floue et ses intentions demeurent mystérieuses.
Je brûle Moscou
Une caricature réussie du milieu moscovite bohème des années 1920. Un de personnages est inspiré de la figure du poète Maïakovski. Mais je me demande pourquoi les deux nouvelles ‘soviétiques' ont pour protagonistes des Juifs. (L'autre nouvelle est La croisade des enfants).
Un extrait :
Inconciliables comme un jazz et un orchestre symphonique, les
femmes à robe longue asservissaient les
femmes à robe courte. Elles avaient pour elles certain patelinage des cuisses ; leur façon de dire en français ‘Mon cher' ; des pendentifs qui s'ouvraient, décelant le donateur, un grand-duc aujourd'hui pendu, conservé dans la glace des brillants, souvenirs de Nice ; elles rappelaient les déjeuners de l'archiduc Othon chez Negresco ou les parties de la reine de Naples, avec des adieux d'aigrettes périmées, d'oiseaux de
paradis perdus et les supplications de leurs grands chapeaux nobles de Lewis ; enfin, une telle amertume dans leurs joues molles que
le nouveau riche grec Pisistrate se donnait. (P151, La Nuit hongroise)
Et un autre extrait – qui ne figure pas dans ce volume mais dans son Journal inutile, extrait découvert grâce à Ph
Sollers : « Je suis un ultra, style Charles X, séparé de la masse française par ma vie et mes goûts ; mais un ultra sans la foi ; et qui, contrairement aux autres, a beaucoup appris et retenu. » source http://www.philippesollers.net/morand.html