Je regrette énormément la beauté enfuie de cette vie d’autrefois que j’aimais. Scarlett, avant la guerre, la vie était magnifique. Elle avait un charme, une perfection, une plénitude et une symétrie qui l’apparentaient à l’art grec. Peut-être tout le monde ne pensait-il pas comme moi, je m’en rends compte maintenant, mais, pour moi qui vivais aux Douze Chênes, la vie était douée d’une véritable beauté. J’étais fait pour cette vie, j’y étais intégré. Et maintenant que cette vie n’est plus, je ne suis plus à ma place dans celle que nous menons aujourd’hui et j’ai peur. Je sais qu’autrefois j’assistais à une représentation d’ombres chinoises, j’évitais tout ce qui n’était pas jeu d’ombres, je m’écartais des gens et des situations trop réels, trop près de la vie. Je n’aimais pas que l’on s’introduisit dans mon domaine. J’ai essayé également de m’écarter de vous, Scarlett. Il y avait trop de vitalité, trop de réalité en vous et je me suis montré assez lâche pour préférer les ombres et mes rêves.
Scarlett, gardez toujours quelque chose à craindre, exactement comme vous gardez quelque chose à aimer...
Comme toujours elle se demandait comment son père, si vulgaire, si dénué de finesse, s'y était pris pour épouser une femme comme sa mère, car jamais deux êtres n'avaient été plus dissemblables de naissance, d'éducation et de formation intellectuelle.
Comme tous les hommes aussi, il était déçu de constater que sa femme était intelligente.
Ma'am Sca'lett ! Ma'am Sca'lett !
Toutes les guerres sont sacrées, fit-il d'un ton sous lequel perçait une note d'agacement. Elles sont toutes sacrées pour ceux qui doivent se battre. Si les gens qui les ont déclenchées ne leur donnaient pas ce caractère, qui serait assez fou pour combattre?
Ma chérie, vous êtes tellement enfant. Vous vous imaginez qu'il vous suffit de dire "je regrette" pour que toutes les erreurs, toutes les souffrances soient effacées de la mémoire, pour que toutes les anciennes blessures soient lavées de leur poison... Prenez mon mouchoir, Scarlett. A toutes les heures graves de votre vie, je ne vous ai jamais vue avec un mouchoir.
Franchement ma chère, c'est le cadet de mes soucis.
Car c'est la seule chose au monde qui dure... et pour tous ceux qui ont une goutte de sang irlandais dans les veines, la terre sur laquelle ils vivent est comme leur mère... c'est la seule chose pour laquelle cela vaille la peine de travailler, de lutter et de mourir.
Jusqu'à ce qu'on ait perdu sa bonne réputation, on ne comprend ni quel fardeau on avait sur les épaules, ni ce qu'est la liberté.