Ils avaient le privilège de mourir décapités et non pendus comme des brigands. La guillotine avait, il est vrai, démocratisé la lame tranchante de la justice, ce qu'ils déploraient. Ils auraient sans doute pensé moins de mal de leurs bourreaux s'ils leurs avaient fait la grâce de les décolleter à la hache. Plus d'un avait dû regretter, sous la Terreur, de connaître le même sort que les voleurs de grain ou les faussaires d'assignats. Qu'on tuât le roi de la même manière qu'un accapareur était, en soi, un scandale. Honte à Guillotin, le premier abolisseur du plus ancien, du plus noble privilège des aristos.
L'espèce n'a pas disparu. Ainsi les Républiques françaises l'ont conservée avec soin. Elles n'ont jamais pu se résoudre à se passer de leurs aristos. Pis, elles leur ont laissé souvent la première place. Ils ont, plus que jamais, sous Gambetta et sous Poincaré, commandé l'armée et la marine, ils se sont assis dans les prétoires, réfugiés dans les évêchés, installés par des mariages heureux dans la finance, et ils ont parfois brigué, non sans quelque condescendance, les suffrages des manants, par un hasard fâcheux et imprévisible de l'histoire, électeurs et citoyens.
Les manuels d'histoire des petits républicains, dont j'étais, furent, il est vrai, trop abreuvés de leurs méfaits. Est-ce une raison suffisante pour que la sensibilité contemporaine les oublie, rejetant la Révolution, en dépit de l'anachronisme, comme une sorte de bolchévisme avant la lettre, tuant et pillant tout sur son passage ?
Le souvenir des aristos se confond trop facilement avec les épisodes sanglants de la Révolution, qui a renversé les pouvoirs de la noblesse.
C'est un insigne honneur d'être reçu à la table d'un duc : on ne la fréquente pas pour y faire bombance, mais bien pour y paraître. Aux faquins les poulardes rôties et les vins gouleyants. On s'émerveille de l'humilité austère de l'accueil, de son parti pris de conformité catholique et bourgeoise. Plus la dinde est dure, plus l'aristocrate est authentique. Il a gardé, sous l'affectation de la simplicité, un vrai pouvoir de mépris.
Il faut savoir prendre le métro, comme les roturiers, ou les étrangers ilotes (...). On tolère la bicyclette écologique, qui convient aux cavalières, surtout si elles suivent, tracées sur la chaussée, des allées réservées, comme au bois. Le manant pétarade et pollue. L'aristo pédale et se glisse sur pneus lisses, la sonnette à la main, sac au dos. On se distingue encore dans la nuance.