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LayLâ, ma raison" d'
André Miquel est une oeuvre fascinante qui réinterprète avec brio l'un des récits amoureux les plus célèbres de la tradition arabe. Ce livre est une véritable ode à l'amour éternel et à la passion dévorante, rappelant les grands classiques tels que "Tristan et Yseult" ou "Roméo et Juliette".
L'histoire de Qays, fils de prince et poète, qui tombe amoureux de Laylâ depuis son enfance, est magnifiquement racontée. Qays est poète, et en décidant de chanter son amour à tous vents, il enfreint une règle majeure du code bédouin : l'amour est signé par l'union des époux, mais il doit être précédé de silence, faute de quoi la jeune fille est déshonorée. La déclaration d'amour de Qays est une atteinte à l'autorité du père de Laylâ.
Humilié par l'affront public que représente cette déclaration d'amour, le père de Laylâ interdit tout rapport entre les deux jeunes gens, entraînant la séparation, le mariage forcé et la mort de l'esprit ou du corps. Qays, désespéré, persiste à proclamer son amour, sombrant peu à peu dans la folie et devenant Majnûn, "le fou". Ce nom et son histoire se détachent à jamais dans le désert, tandis que Laylâ, isolée et mariée de force, souffre également de cet amour impossible.
Le contexte historique du VIIe siècle, pose les questions de savoir pourquoi l'amour de Majnûn pour Laylâ est-il né ? Comment le drame s'est-il articulé et noué ? Pourquoi la société arabe de l'époque a-t-elle créé ce poète, "pure invention de l'esprit des hommes" ? On retrouve dans ce récit les trois moments traditionnels sur lesquels s'articulent les récits amoureux : la proclamation d'amour, la séparation et la folie ou la mort.
L'histoire tragique des deux amoureux nous montre comment la création poétique naît de l'amour impossible, exacerbée par la séparation et rendue encore plus intense par la mort. Dans sa sublimation délirante, Majnûn s'exclame "Laylâ, Ô ma raison !" Cet amour impossible trouve son salut et son acmée en devenant, non plus l'amour d'une femme, mais l'amour qui se détourne d'elle pour devenir l'amour de Dieu, non plus la torture de l'absence, mais l'extase de l'union mystique.
Face à l'extraordinaire passion qui forme toute la chair et tout le sang de "
LayLâ, ma raison", on songe inévitablement à Tristan et Iseult ou à Roméo et Juliette. Les amours fabuleuses de Laylâ et du poète Qays, nées dans l'Arabie du VIIe siècle, n'ont cessé d'être chantées par la littérature et la tradition orale arabes.
Aragon les évoque encore dans "
Le Fou d'Elsa", ainsi que les amants de "Belle du Seigneur". Tous ces récits nous parlent moins des bonheurs vécus dans la continuité des jours que du drame de cette aventure, sous les trois formes qu'il peut prendre : le refus ou les tiédeurs de l'être aimé, les obstacles du corps social, et l'angoisse jamais apaisée, l'amour inquiet de ne pas rester tel qu'en lui-même.
Les Arabes ont dit et chanté, au plein sens du terme, toutes les formes de cette passion, depuis les vieilles odes de l'Arabie prémusulmane jusqu'à la poésie citadine du plaisir, en passant par les exaltations andalouses et mystiques d'une âme en quête d'infini.
Côté jardin, on découvre dans cette superbe reconstitution romanesque, les qualités littéraires remarquables d'un traducteur hors pair, mais aussi, côté cour, le scientifique chercheur et historien, spécialiste de langue et de littérature arabes, également administrateur des plus hautes institutions culturelles.
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LayLâ, ma raison" est une lecture incontournable, une exploration poignante de l'amour éternel et de la passion destructrice, ancrée dans une tradition riche et complexe mais universellement humaine.