Pendant la guerre de Corée, « Ace » Llyod Gruver, pilote célèbre ayant descendu sept Migs, fils d'un général, est rappelé au Japon, à cette époque sous « occupation » américaine, à la base aérienne d'Itami, près de Kobe. Avec lui rentre un autre pilote,
Joe Kelly, qui désire se marier avec une Japonaise (Katsumi). Llyod reçoit la mission de dissuader Joe de cette union, car, tout comme ses supérieurs, il ne voit ces femmes que comme des "naines hideuses" . Malgré tout, Joe refuse de se laisser convaincre, et lui demande même d'être son témoin.
À Osaka, les retrouvailles surprises de Llyod avec sa fiancée Heilen, fille du général Webster, à qui il doit son rappel au Japon, se passent moins bien que prévu : alors que Llyod veut une femme qui, connaissant la vie militaire, attende sagement son époux à la maison, Heilen veut le suivre sur tous les terrains, comme sa mère l'a fait avec son père. Cette future belle-mère étant un « cheval de bataille », la perspective d'épouser une femme devenant aussi directive qu'elle refroidit notre héros. de plus, il découvre l'existence de ce qu'il pensait impossible : de belles Japonaises ! Sa « future » belle-mère a en effet l'idée peu inspirée de l'emmener voir un spectacle de superbes danseuses, les Takarazuka-girl, dont une, Fumiko, est la compagne d'un soldat, Mike. Grâce à elle et à Katsumi, la femme du soldat qu'il devait convaincre, il approche une danseuse célèbre, dont le nom de scène est Hana-Ogi, qui le fascine dangereusement. Après une invitation chez Mike, qu'elle accepte contre toute attente, les deux jeunes gens font plus que fraterniser, malgré la barrière de la langue, ce qui donne lieu à quelques méprises cocasses.
Il va de soi que la relation entre un héros américain et une Japonaise, fût-elle une vedette, ne rencontre pas une grande popularité une fois révélée : bien que fêtée par les japonais, elle est vue avec horreur par nombre de supérieurs du major, et en premier lieu par le colonel Crawford, qui fait de son mieux pour persécuter tous ceux qui osent désirer se marier avec une Japonaise ; ainsi que par Mme Webster, la femme du général, qui partage l'opinion de l'armée selon laquelle les Américains doivent se garder et se défier, sous toutes les formes, de l'ennemi d'hier. Si l'on ferme un oeil hypocrite sur les bordels qui voisinent les bases américaines, si on déplore que quelques mauvais soldats se compromettent avec des femmes sans importance, il n'est pas question qu'un héros de guerre aux états de service jusqu'alors irréprochables puisse envisager de se marier avec une Japonaise, même si c'est une star dans son pays.
Llyod et Ana-Ogi vont devoir faire face à l'adversité, tout comme leurs ami Joe et Katsumi, qui vont les protéger et les loger, en attendant l'ordre inéluctable de rentrer aux Etats Unis, qui n'acceptent pas, à cette époque, que les militaires puissent revenir au pays en étant accompagnés de leur femme si cette dernière est japonaise…
J'ai lu ce roman, paru en 1954, en anglais, car bien qu'il ait été traduit (pas très bien, d'après les rares avis que j'ai pu consulter) en français par
André Cubzac dans les années 50, il n'a jamais été réédité et on ne peut plus le trouver à un tarif raisonnable (une édition de 1960 à plus de 50 €, un exemplaire numéroté paru en 1954 chez Amiot Dumont est proposé à… 200 € !). Il existe toutefois quelques éditions en français plus accessibles venues du Québec. J'ai donc lu «
sayonara » dans sa version originale Kindle, ayant été bien aidé par le dictionnaire anglais intégré pour éclaircir certaines tournures de phrase. J.
Michener l'écrivit en 1953, et
le roman est l'occasion de mesurer l'abîme entre les conceptions de l'époque et la nôtre. Disons le tout net, le héros de l'histoire, Llyod, se ferait étriper par nos modernes féministes lorsqu'il décrit sa quête de la femme idéale, ménagère docile dévouée corps et âme au bien être de son seigneur et maître. Certaines des expressions employées par les officiers militaires racistes ne passeraient plus les filtres des « sentisivity readers » : les soldats qui ont la faiblesse d'être amoureux de Japonaises sont des « nigger-lover », car comment comprendre qu'ils puissent être capables d'apprécier ces « bouddha-faces »…
J.
Michener nous fait ainsi voyager dans une époque et un lieu peu souvent décrit : le Japon sous intendance américaine, pendant la guerre de Corée. On y suit la confrontation de deux civilisations, de deux cultures. le major Lloyd est surpris des origines misérables de Hana-ogi, révulsé par le fait qu'elle ait été vendue par ses parents, mais il comprend mieux cela lors d'une promenade où il réalise qu'il y a « trop de monde au Japon pour trop peu de terres », ce qui ne peut mener qu'à la misère.
On découvre dans
le roman la vie quotidienne de l'après-guerre, comme une description vivante de la rue populaire où vivent, chez
Joe Kelly et sa femme Katsumi, Llyod et Hana-ogi, mais aussi certains travers japonais, comme celui d'accuser les Coréens de tous les méfaits possibles. Dans le récit apparaît également la fierté « incompréhensible » de ce peuple vaincu, cette volonté d'être avant tout japonais, et de refuser de devenir autre : lorsque Llyod décide de se marier avec Hana-ogo, sans lui en avoir parlé auparavant, alors même qu'ils ont des difficultés à communiquer, il n'envisage pas une seconde que cette dernière puisse refuser, et ne pas vouloir le suivre ensuite en Amérique ; bien que même l'administration de l'air force se rie de sa naïveté. le refus d'Hana-ogi plongera le major dans la plus grande stupéfaction : « comment quelqu'un vivant dans ce pays minuscule sans commodités et sans futur peut-il le préférer à l'Amérique ? »
Sayonara est donc un excellent roman sur le Japon écrit par un américain qui connaît bien le pays et le contexte (il était historien maritime dans l'US Navy pendant la Seconde Guerre mondiale, dans le Pacifique) et fait preuve, avec beaucoup d'avance, d'un solide esprit critique à l'égard de l'esprit étroit des militaires et des comportements racistes alors largement répandus.
La qualité du récit et le talent de son auteur ont inspiré le cinéma, car un film avec Marlon Brando et Ricardo Montalbán en a été tiré et est sorti le jour de Noël 1957. Ce film diffère quelque peu du roman par sa fin, plus conforme à un « Happy end », et l'on peut noter que l'interprète japonaise de Katsumi, Miyoshi Umeki, a été la première femme d'origine japonaise à remporter un Oscar, celui de meilleure actrice dans un second rôle.