Cet homme qui maniait le couteau, la scie ou le couperet avec tant de force et d’adresse, qui égorgeait les veaux ou les moutons, assommait les bœufs, tout cela d’un coup, sans jamais s’y reprendre à deux fois, sans jamais se tromper, l’œil toujours calme et la main ferme, cet homme qu’elle voyait souvent des pieds à la tête couvert de sang, comme s’il sortait d’une effroyable tuerie, était-il bien le même que ce Lauriot si naïf, si plein de douceur et de prévenances ?
Ce public était très mêlé ; il est à remarquer combien ces solennités lugubres excitent la curiosité des femmes ; il s’en trouvait de tous les mondes, surtout du demi et du quart de monde. La Chaussée-d’Antin avait là ses représentants comme le quartier Bréda, et quelques billets étaient même tombés, d’offre en offre et de caprice en caprice, entre les mains de certaines filles très connues des habitués des Folies-Bergère. Elles étaient venues, comme elles fussent allées à une partie de campagne, fouillant partout de leurs regards hardis, dévisageant les hommes, étalant avec insolence des toilettes ridicules et tapageuses.
Une odeur nauséabonde, presque insupportable, montait des pavés ; le long des murs, il y avait quelques peaux étendues qui séchaient sur de la paille rougie de plaques ignobles de sang. Là, du reste, tout était rouge, les planches, les poutres, les moindres choses. Il y avait des couteaux, à large lame, à poignée de bois, sur une courte mais très épaisse table de chêne, à pieds carrés.
Cette douleur d’enfant qui s’exhalait en paroles naïves, cette faiblesse de ce grand corps, solide comme une arche de pont, allait droit au cœur des agents. Les gendarmes eux-mêmes regardaient le commissaire et semblaient indécis.
Dans ce cabinet retiré, où flottait un jour douteux, où restait une odeur rance laissée par les personnages équivoques qui défilaient depuis deux heures devant le juge, dans ce cabinet triste dont l’étroitesse était encombrée de paperasses, pas un bruit n’arrivait du dehors.