J'avais adoré «
La langue géniale ; 9 bonnes raisons d'aimer le grec », cette ode au grec ancien, joyeuse et vibrante.
J'attendais avec impatience «
Etymologies - pour survivre au chaos » qui devait initialement être disponible au mois de mars 2020, sortie repoussée pour cause de confinement. C'est fiévreusement que j'ai reçu mon exemplaire, objet essentiel par excellence, auprès de mon dealer local préféré.
Difficile de trouver un titre plus adapté à la conjoncture astrale…
Par « chaos » l'auteure cible les mésaventures du langage, mais ce « chaos » est devenu aussi malheureusement celui des sociétés en proie à la pandémie.
Les mots, le langage peuvent aider à survivre au chaos, à vivre.
Et j'adhère totalement à cette sorte de déclaration préliminaire, « notre langue est faible parce que nous sommes affaiblis (…) lorsque nous renonçons à un mot (…) nous offensons notre propre faculté de raisonnement, parce que s'il y a moins de mots la pensée n'existe plus » (p. 15)
Immédiatement, le rapprochement se fait avec Orwell et « 1984 » son intuition terriblement sombre et prémonitoire de la mise en place de la « novlangue » comme outil totalitaire absolu bien plus que les caméras de « Big brother » qui ont tant frappé les lecteurs.
Un mot est un objet vivant, avec des racines, une histoire, qui donnent sens (au pluriel). C'est un peu comme une tomate cerise ou une fraise, fruits, végétaux qui après avoir fusionné à la terre, absorbé la lumière et l'eau, sont devenus fleurs avant de fondre dans le palais. Aujourd'hui, les mots sont consommés préemballés étiquetés novlangue, avec des colorants artificiels et trop de ces variants anglais si contagieux qui colonisent et cannibalisent le langage comme ces algues indésirables sur le littoral.
Le métissage, en particulier culturel, est une richesse, encore faut-il que la biodiversité soit respectée et qu'il n'y ait pas de prédation.
C'est tout le sens de ce livre de rappeler qu'un mot, c'est d'abord de l'étymologie.
« L'adjectif grec etymos signifie « vrai », « réel », « authentique » : de là vient le mot étymologie, (…) il porte en lui toute la puissance du verbe legô, concept philosophique qui signifie dans cet ordre exact et inébranlable : « penser pour comprendre ». Et ensuite seulement, dire pour comprendre. » (p. 21)
Ce livre n'est ni un dictionnaire, ni un manuel.
Andrea Marcolongo a composé des bouquets de mots, regroupés par thème (la confusion, le délice…) ; pour chacun des mots, qui lui tiennent manifestement à coeur, elle expose le résultats de ses recherches. Car pour nombre d'entre eux, il faut conduire une enquête pour tracer et identifier le plus exactement possible l'étymon. Si le grec ancien est le champ (chant) magnétique naturel, il est régulièrement fait appel à d'autres langues pour éclairer l'étymologie.
Mais le propos de l'auteure ne se limite pas à cet état des lieux linguistique, elle met en évidence combien la signification des mots peut agir dans notre sensibilité, notre quotidien.
Contrairement à certaines critiques que j'ai pu lire, je n'ai pas perçu ces développements comme étant élitistes.
Andréa Marcolongo déroule son fil d'ariane du langage, passionnément mais sans démesure, sans hybris, ne pas confondre mot dire et maudire...
L'intérêt de cet ouvrage est d'ouvrir la réflexion, d'aérer l'esprit et nul besoin d'être docteur es grec ancien pour apprécier. Assurément, comme dans « La langue géniale ... » ici et là l'utilisation ponctuelle de vocabulaire technique aurait justifié un petit glossaire annexé. Mais cette lacune ne confère nullement un aspect ésotérique à l'ouvrage, qui à mon goût est de surcroît gorgé d'une joyeuse saveur.
Quatre-vingt dix neuf mots ont été retenus et chacun d'entre eux mériterait que l'on s'y attarde mais c'est fatalement impossible.
Alors je retiendrai juste cet extrait, au sujet du mot « lire »
« Mais non le livre, en revanche : il vient, du point de vue étymologique, du substantif latin liber, littéralement « la fine membrane entre le bois et l'écorce d'un arbre » qui fut un temps utilisée pour écrire.
Il s'agit d'une homographie de l'adjectif, liber, « libre » et c'est l'un des lapsus qui me font le plus sourire (et dont j'ai honte) lorsque je parle ma deuxième langue, le français : combien de fois ai-je dit, et dirai-je encore, « je suis livre » au lieu de « je suis libre » ? » (p.66)
A lire, pas curiosité et à garder à proximité, aux confins de la méditation, c'est-à-dire d'un point de vue étymologique, je suis à tes cotés, en toute confiance.