Le problème avec Guy Marchand, c'est qu'il vous enveloppe d'un voile de tendresse tel qu'il vous fait tout trouver beau.
"
Le soleil des enfants perdus" est un roman fortement autobiographique.
Ce n'est certes pas "Souvenirs de la maison des morts", de
Dostoïevski, "La Sonate à Kreutzer" de Tolstoï, ou le journal de
Gombrowicz. Ni
Milan Kundera, son auteur favori, qui l'a fait "passer à l'Est", littérairement parlant.
Il ne se compare pas à
Jean-Paul-Sartre, à Camus, à Beauvoir ou
Romain-Gary, auteur qu'il vénère, avec qui il dialogue aux moments forts, quand il est blessé, quand il meurt.
(J'ai noté avec une relative satisfaction qu'il entretient des rapports plus ambigus avec
Hemingway : "Il est des gens pour croire que la guerre fait de vous un homme ou un écrivain", dit-il ).
Non, ce n'est pas de la grande littérature comme ça.
Mais c'est bien écrit, plein de références littéraires, de sensibilité et de tact.
De tact ?
Oui, de ce tact qui permet à l'auteur d'aborder tous les sujets graves avec légèreté mais rémanence comme un violoncelle dont la corde vibre longtemps après que la note se soit libérée, sans pour autant entraîner le lecteur dans le cauchemar de ses tourments intimes.
Guy Marchand évoque la guerre et les blessures qu'elle fait au corps et aussi à l'âme. Romain, son personnage,
le double à travers lequel il s'exprime, est un jeune officier de liaison envoyé en Algérie. Il en revient boitant un peu, mais surtout avec ce mal qu'on prend pour de la désinvolture ou de la nonchalance, et qui est l'anesthésie persistante de ceux qui ont vu ce qu'ils auraient préféré ne pas voir. Cela les empêche de vivre vraiment, ou plutôt de commencer à vivre. L'allégorie de ce malaise intime est ce roman par lequel Romain est obsédé et dont il remet toujours l'écriture à demain. Ainsi passe la vie, arrivent vieillesse et maladie, et on n'aura encore rien commencé.
Car la vraie maladie de Romain est la déprime : une déprime aimable aux yeux d'autrui et qui contribue à son charme : elle se manifeste par ce qu'on tient pour du dilettantisme et de la mise à distance ; elle est en fait désenchantement et conscience de la mort qui rôde. D'où ce parfum de dérision, antidote pour tenter de l'apprivoiser.
Il y a bien l'amour aussi. Mais l'amour ne serait-il pas l'autre face de la guerre et de la violence ? le sujet n'est pas creusé, juste effleuré, car l'auteur ne veut pas "peser" ; mais on sent en filigrane une interrogation métaphysique sur la nature humaine.
Il y a un tas de belles choses dans ce livre. Il se présente très modestement mais évoque un univers familier à ceux qui ont abordé l'existence avant que la page des années 80 soit définitivement tournée : ce temps est habillé de la grâce paradoxale des moments uniques de civilisation issus des guerres, et de la senteur subtile de ce qu'on appellerait aujourd'hui "machisme" ; un machisme élégant, tout en douceur et complicité dont le point d'orgue serait le flirt. Moins futile qu'il n'en a l'air, c'est l'instant magique de rapprochement des consciences solitaires, l'étincelle qui pare le manteau uniforme de la vie.
Le roman est très joliment postfacé par l'une de ses compagnes, Adelina Khamaganova.