Le plaisir de lire
Thomas Mann. Une écriture chatoyante, colorée, époustouflante, ironique, clins d'oeil bienveillants souvent, parfois un brin sarcastiques.
Une écriture qui peint véritablement les scènes de vie, tels les tableaux des grands peintres flamands du XVIIème siècle.
Les Buddenbrook : lu dans la version brochée de Fayard : une édition cochonnée, je ne peux pas le dire autrement, les relecteurs ayant été absents, ou fatigués, ou étourdis. Des coquilles trop nombreuses, Gerda devenant Greda, à plusieurs reprises, je, devenant ii, comme c'est amusant et bien d'autres.
Abordons ce roman. L'histoire de Thomas principalement et de sa soeur Antonie, dite Tony. Deux personnages exceptionnels dans une société encore patriarcale. Dans une Allemagne non unifiée, partagée entre des principautés, des royaumes - celui de la Prusse - , des duchés, un empire (austro-hongrois) et les villes libres, les grands ports hanséatiques, Lubeck, Hambourg, les cités commerçantes, actives, dynamiques au statut économique et politique particulier.
Thomas Mann effleure le sujet. le roman se clôt au moment de la réalisation de l'unité allemande dans le second empire et y met en parallèle le déclin de cette dynastie de commerçants. Une histoire qui se termine, au moment où naît une nouvelle Allemagne, impériale, ... qui n'a pas me semble-t-il le goût de l'auteur.
Thomas porte sur ses épaules une entreprise fondée par son grand-père, d'une fratrie de quatre enfants, mais des deux garçons, il est le seul à pouvoir ou devoir reprendre et transmettre. Ce fardeau qu'il assumera jusqu'à l'usure fatale, l' empêche de s'épanouir, de se réaliser, de penser à lui, bref d'être libre et heureux. Ce qui lui manque c'est sans aucun doute la liberté. Il est entravé, contraint, obligé, lui le maître est aussi le serviteur de traditions, de bienséances.
Est-ce que
Thomas Mann ne nous délivre pas alors ce message : l'accumulation des richesses, la transmission, le respect des traditions, les règles, le devoir familial - la soeur Tony est exemplaire à ce sujet, elle sacrifie son "bonheur" et sa "liberté" au nom de la famille, de la tradition, du devoir -, sont autant de freins à la liberté et à l'épanouissement individuel ?
Son Thomas Buddenbrook est victime de ses propres chaînes : la famille, le capital familial, l'entreprise, le diktat du progrès, le devoir, la bienséance, etc... il ne s'en libère pas, n'essaye même pas. Mais il meurt ainsi.
Ce n'est pas tant le déclin d'une famille, qu'un cri qui s'élève contre les entraves sociales, politiques et morales.
Ce roman-fleuve se lit comme se déguste une verrine délicate mais précise.
Passé le premier chapitre, que j'ai lu deux fois, avant de passer à la suite, on entre dans cette famille et dans cette histoire, passionnément, avec un attachement presque fébrile. Ils sont là tous, détestables, aimables, pitoyables, pathétiques, et
Thomas Mann nous donne une envie furieuse de ne pas les quitter. Tous les portraits sont excellents, succulents, drôles, voire comiques car grotesques, sans concessions, d'une précision d'horloger, de peintre pointilliste.
Et lorsque j'ai refermé le livre, j'ai regretté qu'il n'y ait pas une suite, tant le plaisir est immense.