Annoncé depuis des mois chez Bragelonne comme l'événement fantasy de l'année (rien que ça), le roman de l'américaine
Jenn Lyons arrive en grandes pompes en France.
Accompagné d'une presse dithyrambique outre-Atlantique, le Fléau des Rois n'est pourtant que le premier volume d'une série, celle du Choeur des Dragons, qui compte à ce jour deux autres volumes (The Name of All Things, déjà disponible, et The Memory of Souls annoncé pour septembre prochain).
Souvent comparé au Nom du Vent de
Patrick Rothfuss ou aux romans de
Brandon Sanderson, ce premier opus a bien des qualités à faire valoir…et quasiment autant de défauts !
Le prince-héritier et la métamorphe
Commençons d'abord par expliquer ce que raconte cette énorme brique de 761 pages.
Tout commence par une conversation entre un prisonnier et sa geôlière : Kihrin et Serre. Bien vite, on comprend qu'une longue histoire unit ces deux-là et que leur inimitié se trouve intimement liée aux événements du monde qui les entoure.
Passant un pacte avec la créature qui la surveille (car Serre est une métamorphe capable de prendre l'apparence de n'importe qui), Kihrin accepte de raconter son histoire. Insatisfaite de ce qui lui est rapportée, Serre décide alors de compléter l'histoire de Kihrin de son propre point de vue.
Débute alors la première partie (de 675 pages tout de même) qui s'avère une sorte de ping-pong entre les deux fragments des aventures de Kihrin.
Ce jeune adolescent — qui a quinze ans lorsque débute le récit — n'a rien d'ordinaire (forcément). Fils d'un ménestrel, Surdyeh et voleur appartenant à une confrérie secrète, Kihrin se retrouve rapidement mêlé à une déplaisante histoire d'invocation démoniaque alors qu'il était en train de cambrioler une énième demeure. Propulsé au sein d'un jeu politique qu'il ne maîtrise absolument pas, il va découvrir que sa vie n'est en réalité qu'un mensonge. Notre voleur-truand est en réalité le prince-héritier d'une des grandes maisons Royales de l'Empire de Quur !
Voilà pour le début de la partie narrée par Serre (et donc à la troisième personne du singulier) tandis que celle rapportée par Kihrin directement (et donc à la première personne du singulier cette fois) nous raconte comment le même adolescent devenu esclave parvient à s'échapper des griffes de l'inquiétant Relos Var, un magicien extrêmement puissant, pour finalement rejoindre une île mystérieuse où un clan d'assassins, la Confrérie Noire, va l'aider à rester en vie… et à prendre sa revanche.
Deux parties donc pour un entrelacs narratif qui s'enrichit d'une troisième lecture puisque l'entièreté du manuscrit (avec la seconde partie à compter de la page 675) résulte du travail de recherche de Thurvishar D'Lorus, autre membre d'une autre maison Royale de l'empire Quur et qui annote régulièrement les deux versions de Serre et Kihrin pour apporter des précisions au lecteur ou contester les faits rapportés.
Les bases du Fléau des Rois sont posées, voyons maintenant la suite.
Un livre-univers total
Premier constat (et l'on s'en doutait au vu du glossaire de fin ainsi que de l'arbre généalogique), le Fléau des Rois se veut un livre-univers où la fantasy s'épanouit à chaque coin de page. le lecteur entre dans un monde d'epic fantasy assumé et revendiqué dès la quatrième de couverture.
L'histoire présente ainsi rapidement une foultitude de créatures fantastiques ainsi qu'une bonne dose de magie et de peuples exotiques (notamment les manols qui deviendront très vite l'un des éléments centraux du roman).
L'imagination de
Jenn Lyons est débordante, sa plume simple et limpide (mais guère remarquable paradoxalement) et elle maîtrise sur le bout des doigts les éléments qu'elle met en place.
Reprenant des clichés évidents de la fantasy — le jeune héros au coeur vaillant, le parcours initiatique semé d'embûches, la prophétie inévitable, les objets magiques en guise de MacGuffin… —
Jenn Lyons compte en réalité sur la densité de son monde ainsi que les circonvolutions de son intrigue franchement énorme pour surpasser son classicisme apparent.
Durant deux cent pages, le Fléau des Rois semble tenir ses promesses même si l'on se perd facilement dans les différents personnages et enjeux dévoilés (trop) rapidement par l'autrice. Malheureusement, cette mise en place de l'univers n'est qu'un prélude à une catastrophe narrative qui semble inévitable à posteriori.
Une densité d'univers éreintante
Le premier des nombreux problèmes du Fléau des Rois, c'est qu'il souffre du syndrome bien connu de vouloir tout faire trop vite et trop bien.
Sans le talent d'archéologue d'un
Steven Erikson ou l'expertise narrative d'un
Glen Cook,
Jenn Lyons vous livre tout un univers en quelques centaines de pages. le lecteur est rapidement submergé par tout ce que raconte Lyons qui ne se contente pas simplement d'un récit mais de deux (souvenez-vous) avec en plus différentes époques qui s'entrechoquent, des créatures qui pleuvent littéralement sur le lecteur et des personnages qui se bousculent (dans ce qui ressemble furieusement à du name dropping au départ tant personne n'a le temps de s'incarner comme il faut... )
Tout va trop vite. Comme on l'a dit,
Jenn Lyons maîtrise à la perfection son univers et semble connaître les tenants et aboutissants de son intrigue sur le bout des doigts. Tellement d'ailleurs qu'elle en oublie le lecteur en chemin qui se noie littéralement dans la masse prodigieuse d'informations données.
En segmentant de plus ses deux intrigues sur une alternance de courts chapitres (on en trouve 90 dans ce premier volume), elle empêche de s'attacher aux personnages (et notamment au héros, Kihrin) et aux péripéties.
Après trois cent pages, nous sommes littéralement au bord de la route, sans boussole.
Comprenez-bien que si certains passages épiques fonctionnent comme l'échappée dantesque du navire le Malheur poursuivi par un Kraken et un Dragon au sein d'un maelström maritime saupoudré d'affrontements magiques, la plupart du temps, on se perd totalement dans les multiples magiciens, démons, créatures surnaturelles, fantômes, kraken, dieux et autres déesses et revenants…
Une chose qui parait tout à fait logique puisque le lecteur doit en plus jongler entre deux narrateurs qui n'ont, en vérité, aucune utilité pour faire avancer l'histoire. Rien ne vient justifier cette alternance au final et rien n'aurait empêcher
Jenn Lyons de raconter tout ce qu'elle rapporte de façon linéaire…allégeant par la même une aventure qui devient tout simplement incompréhensible à cause de ses rebondissements !
Le temps du twist (et du re-twist)
Non seulement le Fléau des Rois est un livre-univers très dense à la narration artificiellement gonflée mais c'est surtout une catastrophe narrative d'une autrice qui semble n'avoir retenu des ténors du genre que les twist-endings.
Dans ce premier volume, les rebondissements s'abattent comme un orage de grêle sur le lecteur. Pour faire simple, tous les personnages (et bien TOUS les personnages) ont droit à un twist sur leur ascendance, leur descendance, leur accointances ou leur camp.
Tout le monde là-dedans est le fils/le neveu/l'oncle/le père/le grand-père/le père adoptif de quelqu'un. Toutes les 30 pages, un retournement et une révélation, toutes les 30 pages
Jenn Lyons fracasse les bases posées pour ses personnages pour ébahir le lecteur. L'énorme problème là-dedans c'est qu'à force de rebondissements, on ne comprend plus rien du tout à qui et qui ou qui fait quoi pour qui et dans quel intérêt. Avec ce rythme asphyxiant, les personnages du Fléau des Rois (qui sont au moins trente) deviennent des prétextes à twists et n'existent tout simplement plus. Kihrin ne crée jamais l'empathie, il devient juste un jeu de dupes permanent sur son identité et ses relations familiales comme l'ensemble des personnages présentés.
Tout le reste passe en arrière-plan.
Et si vous ne trouviez pas tout cela assez complexe,
Jenn Lyons capitalise sur deux trouvailles (sympathiques sur le papier, infernales en réalité) : il est possible de Revenir à la vie avec l'aide de la déesse de la mort, Thaena, et une pierre-magique, la fameuse Pierre des Entraves, permet d'inverser les âmes si on tue son porteur. Ah, et il faut aussi ajouter à cela la magie qui permet de prendre une apparence totalement différente et… Vous comprenez le calvaire final représenté par ce premier volume ?
Pour faire simple, imaginez que le personnage d'Eddard Stark dans le premier volume de Game of Thrones ait toutes les 30 pages changé de père, de fils, de camp et de famille avant de découvrir que son père, son fils ou son oncle avait échangé de corps avec un autre par magie, et ça, plusieurs fois !
En plus du reste, et en oubliant les twist magiques et les deus ex machina à n'en plus finir. C'est si lourd et si répétitif que tout le génie de l'intrigue générale, de l'univers et de tout le reste passe à la trappe.
On est éreinté, dégoûté, blasé après les 675 pages de la première partie quand arrive enfin la seconde partie qui prouve que Lyons est capable de faire de belles choses même si elle continue encore, encore et ENCORE à sortir des rebondissements jusqu'à en vomir de partout. Tant et si bien que la révélation finale, celle qui compte le plus, n'a plus aucune importance pour le lecteur.
Voilà comment le Fléau des Rois étouffe sa promesse initiale dans une bouillie narrative totalement et intégralement imbuvable.
Rarement un roman de fantasy n'aura aussi largement gâché ses possibilités.
D'un monde d'une fantastique densité,
Jenn Lyons se retrouve avec une histoire catastrophique qui sacrifie absolument tout sur l'autel d'une complexité narrative vaine et harassante. le Fléau du Rois n'est en réalité que le roman du « trop » : trop de personnages, trop de rebondissements, trop de détours…et aucune émotion !
Un échec cuisant et rageant.
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