« Moi, j'explique à Angèle : on ne vient pas sur une terre vierge et pure et vierge, avec tout à apprendre et tout à faire. On n'est pas une page blanche… une chouette page blanche sans ratures sur trois générations. Mais non, on porte la mémoire de sa famille, on trimballe ses paquets de problèmes et de névroses… En naissant bien sûr, on a tout oublié mais tout est là, en nous. » Cette phrase résume pour moi la teneur de ce livre, suite de «
Mauvaise fille », où l'auteur poursuit son récit introspectif.
Même si ce livre est centré sur la maternité et la relation de Louise (le double de fiction de
Justine Lévy) avec ses enfants, Angèle et Paul, les mêmes thèmes, les mêmes blessures, les mêmes failles sont explorées et couchées sur le papier, comme pour les exorciser, toujours et encore.
Ici, Louise nous parle de sa vie de mère de famille, qui est devenu son « paradis », comme si elle avait été « opérée de sa vie d'avant », même si cette vie d'avant resurgit malgré tout, tellement les blessures de l'enfance sont prégnantes, causées par sa relation à sa propre mère, aujourd'hui décédée, mais aussi par sa relation avec celles (et surtout une) qu'elle appelle ses « belles-mères du moment ». On sent qu'elle n'a pas encore évacué tout de son enfance, de ses souffrances, et de cette relation à sa mère paumée, fatiguée et surtout camée.
Elle nous parle également de la peur, corollaire inévitable de la maternité, mais aussi et surtout de
la gaieté qu'elle s'efforce de s'imposer à tout prix, comme un rempart à la tristesse et la fatigue qu'elle a héritées de sa mère et de son enfance et qu'elle n'a pas complètement vaincues. Elle veut arrêter « la contagion ». « Cette peine qu'elle m'a refilée et c'est pour ça que moi, j'ai décidé d'arrêter la contagion, pour eux, pour mes enfants, stop, cordon sanitaire, compression hémostatique, Betadine… J'ai sorti tout l'arsenal et j'ai bloqué la transmission. »
Louise donne à ses enfants une éducation où
la gaieté est le mot d'ordre, pour qu'ils soient contents avant tout et pour cadenasser les portes de la tristesse. Car Louise reste pétrie de culpabilité, avec une « peur absurde d'être une mauvaise mère comme elle a été une
mauvaise fille. » « Je suis aux commandes d'un navire qui ne doit pas être trop chargé pour ne pas prendre l'eau et arriver au bon port de
la gaieté. »
C'est une véritable guerre, presque une croisade, qu'elle mène pour que ses enfants n'héritent pas de la tristesse et des chromosomes du chagrin venus du passé », elle parle d'un bouclier anti-tristesse. On sent pourtant que cette défense est bien fragile, qu'elle essaie de se persuader comme elle essaie de nous persuader. Il y a malgré tout parfois de l'humour et de la légèreté dans la narration de certains épisodes et certains souvenirs qu'elle évoque, ce qui nous permet de « souffler » un peu dans ce récit qu'on lit d'une traite.
Malgré son titre, j'ai trouvé ce livre empreint de beaucoup de tristesse mais profondément touchant et très beau. Il me semble beaucoup plus abouti que les précédents (notamment «
Rien de grave »), d'une grande sincérité, très bien écrit et m'a touchée au coeur.