«J'ai envie, Michel, d'être seul, mais seul à pleurer.»
«Mon cher Jacques [...] J'ai passé un Noël plus que morne, saisi – plus que de coutume – par le cafard des jours de fête que tu connais comme moi...»
C'est, croirait-on, de
Leiris et de Baron, à qui sera le plus malheureux, le plus découragé ! À ce jeu, le poète surréaliste qui, sans y être né, vécut de longues périodes à Nantes, gagne incontestablement, débordé de « farniente agaçant », de « vide ». Invariablement, de Nantes à Neuilly, d'Alger au Caire,
Jacques Baron «cultive l'angoisse» et traîne sa mélancolie : «je crève d'ennui, je me barbe, me rase, m'embête, m'emmerde».
Né en 1905, Baron a quatre ans de moins que
Leiris ; «voyou» revendiqué, «l'enfant perdu du surréalisme» (
Patrice Allain, Nouvelle revue nantaise n° 5, Dilecta, 2009) semble n'atteindre jamais «
l'âge d'homme» de son aîné ; des deux amis, littérairement comme professionnellement,
Leiris apparaît comme celui qui réussit.
Patrice Allain et
Gabriel Parnet enfoncent le clou : Baron «n'a ni les scrupules, ni le sens dialectique, ni l'habileté rhétorique de
Leiris». L'image qu'a de lui-même Baron, tenaillé par un complexe d'infériorité intellectuelle et plutôt enclin à l'autodépréciation, ne vient certes pas l'amender de ce sévère jugement : «Je lis et fais semblant d'écrire un grand roman (comme toujours) mais naturellement je n'aboutis à rien [...] je suis paresseux».
Ses lettres à
Michel Leiris révèlent, décidément, un
Jacques Baron velléitaire, ne réalisant pas ses projets, n'achevant pas ses textes, écrivant des vers «qui ne finissent pas». Pourtant, avec "La Décadence de la vie", en 1925, le «
Rimbaud du surréalisme» avait soulevé l'enthousiasme d'
André Breton (qui le giflera puis l'exclura du groupe quatre ans plus tard) ; et Baron mènera à leur terme plus de dix ouvrages pétris d'humour et de fantaisie, de "
Paroles" (recueil de poèmes publié sous ce titre seize ans avant celui de
Prévert...) à "Nouveautés d'hiver".
Le travail de recherches de
Patrice Allain et de
Gabriel Parnet est impressionnant, s'ouvrant, par une préface de près de quarante pages, sur une remarquable analyse de cette correspondance privée jusqu'ici inédite. le volume des 264 notes (pour 183 pages) excède très largement celui des 80 lettres (1925-1979), ce qui oblige à une sorte de double lecture du livre pas toujours très confortable. Mais ces notes (ici exceptionnellement, voire excessivement fouillées, qui poussent le souci de clarification jusqu'à expliquer les variantes du poker !) confèrent tout son intérêt à l'ouvrage ; elles replacent en effet chaque lettre dans son contexte, historique, littéraire, et à l'intérieur des biographies des deux auteurs comme des autres personnalités citées. Ainsi découvre-t-on nombre de précisions passionnantes sur
André Breton,
Roger Vitrac,
Louis Aragon,
Antonin Artaud, André Masson,
Emmanuel Berl, Marcel Duhamel,
Jacques Prévert ou
François Baron, frère de Jacques.
On saluera enfin le soin impeccable apporté à l'édition de ce livre, enrichi d'un opportun index.
Critique parue dans "Encres de Loire" n° 64, été 2013
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