Citations sur Se perdre avec les ombres (17)
C'est une expérience de l'extrême que d'attendre et d'espérer un improbable retour.
Qui n'a pas guetté de la sorte derrière une fenêtre, au point d'être changé en statue, ne sait rien de l'absence. Ni de l'attente. Ni de ce temps affreux où l'on finit par retourner à la raison, c'est-à-dire à la réalité.
Personne ne viendra p 128
Le miracle a lieu. Je trouve une réponse à mon chagrin. Mais surtout je trouve un écho. Voilà ce qu'est un livre. Quelqu'un vous parle qui ne saura jamais à quel point on est soi-même conforté par l'élan qui lui a inspiré la splendeur de cette phrase. (p. 119)
L'aube appartient aux amants.
À l'enfant consolé, soupirant de bien-être dans des
bras retrouvés.
L'aube appartient à l'émerveillement de vivre.
Au tremblement du bonheur.
Au premier cri d'oiseau.
Aux chants de la terre
À la joie retrouvée.
Aube que je préfère à l'aurore qui vient juste après.
Aube qu'on appelle aussi "crépuscule du matin". p 15
C'était l'hiver 1971. La chambre était glacée. II n'y avait pas de chauffage. Pas d'eau. Pas d'éclairage J'allumai une bougie. Depuis, j'ai découvert ce qu'était la présence d'une flamme dans un lieu désolé. Des taches de lumière qui dansent comme des volubilis, enchantant les murs. C'était un signe des enfants. La promesse de leur retour. Les chansons. Les manèges. Les contes lus, le soir. Les rires. Les fous rires. Les cornets de glace sur le trottoir. Leurs mains enfin dans la mienne.
L'amour maternel est le moins mièvre des sentiments.
C'est avant tout un acte de résistance
contre la férocité du monde.
"On veut nous faire croire que les rayonnantes créatures photographiées en couverture et à l'intérieur du journal ont les préoccupations des gens de cinquante ans et plus. Elles ont l'air d'en avoir trente-cinq. Je tourne les pages. Ce n'est que publicités pour l'incontinence, l'impuissance sexuelle, les petits sièges ascenseurs fixés aux rampes qui vous permettent de monter jusqu'au premier étage, les baignoires qu'on n'a plus à enjamber. Les assurances. Les obsèques. Pour illustrer ce catalogue de ventes, des femmes jeunes sont photographiées dans lesdites baignoires, sur le siège de ces petits ascenseurs. Elles ont l'air en parfaite santé. Pourquoi ne nous montre-t'on pas le vrai visage de la vieillessse ?".
Je n'aime pas les manoeuvres de séduction. Je n'ai jamais été dans la séduction. Je n'aime pas qu'on me flatte. Depuis toujours, je sais que les compliments cachent souvent chez ceux qui les formulent, un désir de manipulation, de prédation. Je n'aime pas qu'on essaie de m'apprivoiser. Je me sens comme une bête sauvage qui a reçu des salves de plombs. Je n'aime qu'on essaie de me changer. Autrement dit de me soumettre.
Tout nouvel amour, toute jouissance, ce qu'on appelle le coup de foudre est fondé sur un crime. Un sacrifice humain. La mort d'un autre. Celle ou celui qu'on abandonne sur le bord du chemin. Je le sais pour avoir été des deux côtés. Mais quand j'ai été choisie et folle amoureuse, j'ai compris le mal que je faisais et que je n'étais pas à ma place. Je me suis retirée. Cette douleur préfigurait celle que je connaîtrais un jour ?
Je hais les célébrations. Elles finissent toujours par ressembler à des cérémonies mortuaires. Ni cadeaux. Ni compliments. Ni couplets. Rien. C'est dans la vie de chaque jour qu'il faut se montrer inventif, aimant, spirituel. C'est dans la vie de chaque jour qu'il faut réfléchir à la mort qui peut surprendre chacun d'entre nous. C'est aujourd'hui et maintenant qu'il faut la combattre et lui barrer le passage. Réinventer la joie. Rire et aimer. Malgré tout.
Dans le livre, ce qu'on lit, ce sont les propos d'un être bien vivant qui écrit, talonné par la mort. Il écrit pour après sa mort. Il écrit avec cette curieuse espérance que les mots le sauveront peut-être, que les mots lui permettront de se redresser et de sortir de sa tombe. (p.28)