J'ai un soucis avec les romans de John le Carré. C'est le deuxième livre que je lis de lui cette semaine, et la même impression me poursuit : dès que je referme le livre, j'oublie aussitôt ce que j'ai lu. C'était très gênant pour
la Constance du jardinier, car les personnages (surtout Tessa) étaient charismatiques. Cela l'est moins pour
un traître à notre goût.
Je vous rassure, ce livre a de grandes qualités. La narration est particulièrement virtuose. L'auteur change de point de vue fréquemment, enchâsse le récit principal de retours en arrière, nous fait pénétrer à la fois dans les arcanes des services secrets, qui ont connu un coup de mou entre la fin de la guerre froide et le 11 septembre et dans ceux de la Mafia russe. le profit est roi, et de l'argent blanchi est de l'argent utile, n'est-ce pas ? J'ai beaucoup aimé les chapitres consacrés à Hector et à sa lutte contre Matlock, avec Luke en arrière-garde. J'ai reconnu certains thèmes qui apparaissaient déjà dans
La Constance du jardinier, ses images obsédantes d'innocents massacrés non pas gratuitement, mais pour l'argent. J'ai aimé aussi que ses espions soient humains, dotés de problèmes qui parasitent leur métier. Hector n'a-t-il pas fait aménager son emploi du temps pour. rendre visite à son fils emprisonné deux fois par semaine ?
Malheureusement, les autres personnages ne sont pas à la hauteur. Je commencerai par le couple d'anglais. Perry est tout bonnement insupportable. Monsieur, qui a la chance d'avoir un poste à Oxford, veut enseigner à des élèves qui ont vraiment besoin de lui. Des idéalistes comme lui, j'en ai croisé sur mon chemin, et ils ne résistent pas longtemps à la réalité. Gail, sa compagne, est tout bonnement insupportable. Elle a toutes les qualités, elle a une magnifique carrière, elle aura peut-être un enfant de Perry, qui en veut entre un et six. Bref, elle pourrait me faire penser à Tuppence Beresford - l'intelligence, le panache et le brio en moins, ce qui fait beaucoup au final.
En effet, je n'arrive pas à croire une seule seconde qu'un mafieu russe surpuissant et acculé ait pu voir dans ce couple de bobo son seul espoir de changer de vie en toute impunité, de contacter les services secrets, etc,etc. Pour un peu, je dirai qu'il regarde trop la télé, ce qui paraît invraisemblable eu égard à tout ce qu'il a enduré, lui, sa femme, son meilleur ami, la mère de Natacha (et j'ai envie d'ajouter à nouveau etc, etc,....).
Parlons-en, de Natacha. Elle avait tout pour être un personnage romanesque de premier plan : sa mère a été assassinée par son mari jaloux, son père biologique l'a élevé avec sa femme légitime, elle vit un amour interdit. Sauf que cette amour n'est rien moins qu'une romance de gare, telle que je pourrai croire qu'on en écrit plus depuis cinquante ans. Quant à l'attachement de Gail à son égard, c'est louche. Parce qu'elle-même a traversé la même "épreuve" des années plus tôt. Mouais. Là non plus, je n'y crois pas une second.
Un traître à notre goût est pour moi un rendez-vous raté avec
John le Carré.
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