«
La fin des abeilles »
Caroline Lamarche.
Le titre du livre a un parfum de la fin d'une époque, la nôtre. Il est annonciateur d'une catastrophe environnementale qui, selon les plus alarmistes, va se produire déjà dans trois ans, et devant laquelle nous restons stupéfaits, sidérés, comme frappés par une impuissance.
Les abeilles dont il est question ici, sont celles qu'entretenait la mère de
Caroline Lamarche. Au fil des ans, elle avait fini par renoncer à s'occuper de ses ruches parce qu'elle avait constaté une disparation exponentielle des abeilles, avec, pour conséquence une diminution vertigineuse de la quantité de miel produit.
Au début de ce récit, la mère de CL est en fin de vie. Elle a atteint la très grande vieillesse. Dans deux ans, elle sera centenaire. Mais elle ne le deviendra pas. Elle décédera avant d'atteindre un siècle de vie. Ce livre, c'est l'hommage rendu par sa fille, à cette femme issue de la haute bourgeoise. La mère est attachée à sa « bonne et chère maison » si grande, qu'elle n'aura jamais assez de temps pour l'entretenir comme elle le voudrait. Comme elle entretient l'immense propriété dans laquelle elle aura, sa vie durant, planté plus de 2000 arbres et bien entendu, placé des dizaines de ruches. La nature au coeur de ses plaisirs et de ses préoccupations. Une écologiste avant l'heure.
Cette mère devenue très vieille perd de son autonomie : diminution sévère de la vue, perte de la marche, perte de mémoire, etc. Se pose pour les enfants la question de l'accompagnement au jour le jour de cette très vieille dame, avec toutes les contraintes que cela entraîne pour les accompagnants ; la lassitude, l'épuisement mental et physique, etc. Pour l'écrivaine, c'est l'occasion de s'interroger sur l'attachement affectif qu'elle éprouve à l'égard de sa mère devenue très vieille et proche de la mort. C'est également l'occasion pour elle, de mener une belle et sincère réflexion sur les fluctuations de cet attachement en passant en revue les différentes périodes de sa vie parallèlement à celles de sa mère.
Caroline Lamarche dresse ici un beau portrait d'une femme de cette génération-là. Celles qui avaient inscrit leur vie dans un modèle social codifié et très corseté, dans lequel les femmes devaient correspondre à des critères desquels étaient effacées leurs aspirations personnelles, professionnelles, sociales, affectives et sexuelles. Cette génération de femmes qui, plus tard, au milieu des années 60, verra leur modèle de vie moqué, critiqué et surtout, comme on le formulerait aujourd'hui, déconstruit, par leurs propres filles. Ce qui engendrera de nombreuses oppositions avec en prolongement inévitable, des périodes d'éloignement.
Voilà donc «
La fin des abeilles » comme une métaphore d'un monde qui s'achève, qui va incessamment disparaître et qui, d'ailleurs, est déjà en voie de remplacement. Pour un monde meilleur ? Rien n'est moins sûr. Car l'avenir se dessine en contours flous et menaçants. de cet avenir-là, nous ne sommes pas certains de le vouloir tout à fait.
Une lecture magnifique rendue par une belle écriture.
Un immense coup de coeur.