Dans leur foi ardente et absolue, nombreux sont les artistes espagnols qui ont considéré leur art comme une sorte de profession sacrée permettant de célébrer la gloire de Dieu aux yeux de tous. Combien de religieux et de prêtres n^ont pris le pinceau et la brosse, le ciseau et i'ébauchoir, que pour rendre hommage au Souverain Maître. Aussi, ne faut-il pas s'étonner si les sculpteurs castillans, tant ceux qui firent le voyage d'Italie que les autres, ne célèbrent pour ainsi dire jamais dans leurs œuvres l'être physique, l'animal humain pour lui-même. Bien rares, pour ne pas dire nulles, sont leurs incursions dans le domaine mythologique.
En Espagne, comme partout ailleurs en Europe, pendant toute la durée du moyen âge, la sculpture demeure intimement unie à l'architecture. D'abord de style gallo-romain, quelque peu transformée par des adjonctions d'origine byzantine et même copte, importées par les manuscrits, les ivoires et les tentures, — car c'est par ces petits objets bien plus que par de grands monuments que les arts de l'antiquité se lient à ceux des temps modernes — elle reste presque exclusivement ornementale jusqu'au XVe siècle.
La cathédrale de Compostelle, commencée en 1078, mise à part, ce n'est qu'à la fin du XIIe siècle que les architectes firent sortir déterre les incomparables basiliques de Burgos, Léon, Tolède, Séville, Tarragone, Pampelune, etc., véritables fleurs gigantesques aux innombrables pétales que sont leurs chapelles. Alors seulement la sculpture, qui n'en est que la saillie, apparaît. Gomme partout ailleurs, elle commence par être une plante grimpante qui sent le besoin de s'accrocher; puis, comme elle est l'expression d'une collectivité, elle prend rapidement son essor et commence à briller au moment où la nation, jusqu'alors « partagée entre la guerre et la dévotion », selon l'expression de Mérimée, « encore rude, hardie, impétueuse, capable d'émotions sublimes et d'actes héroïques, sent son âme se détendre et aspirer au bien-être ».
Les cathédrales de Compostelle, d'Avila, de Tarragone, de Ségovie, de Pampelune, de Léon, de Burgos, de Tolède, de Palencia, de Séville, pour ne parler que des principales, les nombreux monastères et couvents élevés dans le courant du moyen âge et achevés seulement pour la plupart vers le milieu du XVIe siècle, sont les véritables musées de la péninsule jusqu'à l'époque de Charles-Quint et de Philippe II.