Le XVe siècle est une des époques les plus déroutantes de l’humanité ; alors la barbarie et la civilisation se coudoient, s’entrechoquent, luttent et se mélangent ; le goût de l’étrange, l’attrait du merveilleux est dans tous les esprits, la magie, la superstition, la fièvre de sorcellerie, comme l’a si bien dit L. Solvay, brûlent les cerveaux et détraquent les nerfs, la peur de l’Enfer, la crainte du démon damnent la chrétienté tout entière. Aussi rien d’étonnant à ce que l’art ait essayé d’interpréter ces inquiétudes des âmes, de les rendre palpables, d’exprimer l’effroi, le désespoir général. Les peuples du XV® siècle sont entièrement croyants ; le doute n’est pas encore né. Ils ont une foi absolue dans les enseignements de l’Église, une peur atroce de l’Enfer, une confiance aveugle dans la sorcellerie, les enchantements, la magie, et le sabbat.
Le Père Sigüenza entend démontrer que ses productions ne sont pas extravagantes, mais des œuvres de grande philosophie, et que s’il a des choses étranges, c’est notre faute et non la sienne, car, pour le dire une bonne fois, il a voulu peindre les péchés et les vices des hommes. « Je voudrais », ajoute le pieux religieux, « que tout le monde soit pénétré des éléments de ses tableaux, car chacun en retirerait grand fruit en jetant par cela même un regard dans son fort intérieur, en se rendant compte de son aveuglement. » Felipe de Guevara pense que s’il dessine des figures étranges, il imagine en réalité des choses admirables. Une des rares exceptions dans ce concert d’éloges est Pacheco qui trouve que le Père Sigüenza honore beaucoup trop Bosch et que c’est un tort de faire des sujets de méditation de ses fantaisies licencieuses, qu’il se garde, lui, de proposer comme modèles aux peintres.
Parmi les grands peintres de la fin du Moyen âge, et ils furent cependant légion, Hieronymus Bosch est l’un des plus personnels, des plus primesautiers et, en même temps, l’un de ceux dont l’œuvre reflète le mieux le symbolisme de l’art de son temps.