Théorie du film : La rédemption de la réalité matérielle

Cela explique pourquoi, depuis les années 1920 jusqu'à aujourd'hui, les adorateurs comme les détracteurs du film l'ont comparé à une sorte de drogue et ont attiré l'attention sur ses effets de stupéfiant - ce qui, incidemment, montre bien que le parlant n'a pas changé grand-chose. La drogue entraîne l'addiction. On serait donc fondé à dire que le cinéma a ses habitués qui fréquentent les salles obscures sous l'emprise d'un besoin exclusivement physiologique. Ils n'y sont pas poussés par le désir de voir tel ou tel film ou de se divertir agréablement ; ce dont ils ne peuvent plus se passer, c'est d'être libérés pour un moment de l'emprise de leur conscience, de perdre dans l'obscurité leur identité et, prêts à absorber les images par tous leurs sens, de se laisser pénétrer par elles à mesure qu'elles surgissent sur l'écran.

Contrairement à ce qu'on serait tenté de croire, la musique ne vise pas à réintroduire la plénitude de la réalité dans les spectacles muets en y ajoutant du son. C'est tout le contraire : elle entraîne le spectateur jusqu'au coeur silencieux des images et lui fait éprouver la vie photographique. Sa fonction est de faire oublier le besoin du son et non de le satisfaire. La musique met en valeur et légitime le silence plutôt que de le rompre. Et elle trouve son accomplissement lorsqu'on ne l'entend pas et qu'elle met si parfaitement nos sens en prise sur les images du film que celles-ci nous touchent en tant qu'entités se suffisant à elles-mêmes, comme des photographies.

Il y a sans doute quelque vérité dans cette idée qu'avec l'âge on se replie instinctivement sur les positions que l'on a quittées pour se lancer dans la lutte et les conquêtes. Sur la fin de sa vie, Mélies délaissa de plus en plus le film théâtral pour le théâtre filmé et des féeries qui rappelaient les grandes revue du théâtre du Châtelet à Paris.