Un excellent ouvrage pour démêler les inextricables conflits politiques du Moyen-Orient et reposer un contexte historique, géopolitique et confessionnel de la région et des pays qui la composent.
Gilles Kepel revient aux chocs pétroliers et aux extraordinaires mannes financières qu'ils représentèrent pour les pays arabes, notamment dans leur lutte contre Israël et en soutien des Palestiniens ; chaque pays tentant de se faire le chantre de la défense des lieux sains et de la religion face à l'extérieur. Il souligne également le rôle déstabilisateur crucial de l'invasion soviétique de l'Afghanistan en 1982, où les pays arabes s'empressent d'envoyer leurs contingents extrémistes avec l'espoir qu'ils se feront tuer, or ceux-ci y font au contraire leurs premières armes, et reviennent dans leurs pays d'origine lutter contre les régimes en place. En 1988, c'est l'écrasante victoire iranienne sur le plan de la communication, puisque Khomeini lance sa fatwa sur
Salman Rushdie, élargissant dès lors le périmètre d'action de l'islamisme, et occultant presque totalement l'annonce du retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan grâce au soutien de pays sunnites.
En sus d'une myriade d'anecdotes et d'informations qui permettent d'affiner la lecture des relations des pays du Moyen-Orient entre eux et envers l'extérieur,
Gilles Kepel esquisse les théories, les stratégies, les tactiques mises en place à des fins politiques religieuses, ou au contraire à une recherche de puissance que les poids lourds de la région tentent d'affirmer, et les énormes moyens financiers qui y sont consacrés pour s'imposer sur la scène médiatique.
Absolument passionnant, Sortir du Chaos analyse les dynamiques sociales et politiques qui préemptent les révolutions arabes de 2011, en distinguant les situations tunisienne, égyptienne et libyenne, qui ont vu la chute du dictateur alors en place, et les situations chaotiques ou ce dernier s'accroche au pouvoir ou y est conservé par l'entremise de pays voisins, comme au Bahreïn, au Yémen et en Syrie.
La dernière partie de l'ouvrage est consacrée aux belligérants et aux forces en présence, intérieures et extérieures, et aux aspirations politiques de chacun, au détriment des populations qui en sont réduites à se radicaliser pour se faire entendre. le jeu d'alliance de la Russie paraît bien fragile, entre ses liens historiques avec l'Iran, ses liens commerciaux importants avec la Turquie et ses intérêts qui rejoignent par moment ceux d'Israël et de l'Arabie Saoudite. L'Europe et les Etats-Unis semblent eux totalement dépassés par la complexité du conflit et les attentes de leurs propres populations.
Un extraordinaire bordel et une lecture géopolitique jouissive et toujours aisée malgré la multitude d'acteurs en présence. Un gros pincement au coeur cependant devant l'intelligence et les tractations déployées pour assoir des ambitions politiques, au mépris le plus total des populations qui ne sont véritablement que de simples pions sur un échiquier...Quelle tristesse !
Une dernière remarque enfin, l'auteur consacre quelques paragraphes extrêmement intéressants au général Qassem Soleimani, assassiné début 2020 après la publication de l'ouvrage.