Quand la nuit devient jour m'intriguait beaucoup.
Sophie Jomain a choisi un sujet tabou et sensible pour son nouveau roman et si je n'ai pas toujours adhéré au personnage de Camille, je dois avouer que l'auteur arrive à dérouler une histoire sans jugement et avec justesse.
Camille a 29 ans et elle a décidé de mettre fin à une vie de souffrance le 6 avril 2016.
Avec une mésestime d'elle-même depuis la plus tendre enfance, Camille a traversé les années assaillie de doute, de dégout et de souffrance. Issue d'une famille aimante, la jeune femme fuit son corps et la vie, elle passe de la obésité boulimique à l'anorexie, tente plusieurs fois de se suicider, rencontre divers thérapeutes et psychologues, rien y fait, aucun espoir de guérison vient la toucher du bout du doigt. Sans aucune raison de continuer, d'affronter cette souffrance, cette vie qui ne lui donne rien, elle prend la décision de mettre fin à ses jours avec dignité en demandant l'euthanasie volontaire assistée.
J'ai eu la bêtise de lire des avis avant de commencer le roman, ce que je fais rarement, voire jamais, car je ne veux pas être influencer. Je dois avouer qu'en commençant ma lecture et au fil des pages, j'étais assez réfractaire à Camille. Non pas, parce que je ne comprenais pas, ou que je n'adhérais pas à ses idées, mais parce que j'avais l'impression qu'en fin de compte elle n'avait pas vraiment essayé de se battre, d'avoir l'espoir de guérir.
Dès les premières pages,
Sophie Jomain nous met dans le vif du sujet. Camille, la narratrice, nous énonce sa biographie dépressive de son enfance jusqu'au moment où la commission accepte sa demande d'euthanasie. C'est débité de but en blanc, elle nous déroule sa vie, son dégoût, sa souffrance, ça nous prend comme une envie de vomir d'essayer d'imaginer tout ce qu'elle a ressenti. Malgré tout, je ne l'ai pas vu esquisser un geste d'espoir ou de combat, elle parle de lutte, mais le combat qu'elle a mené était contre la vie. Pour moi, Camille est toujours parti perdante, dès le départ elle avait décidé qu'elle ne guérirait pas.
Alors ne vous méprenez pas, je pense que la dépression est une maladie et qu'elle est incurable, que chaque jour on se bat contre les démons qui peuvent nous assaillir, mais je crois aussi que nous pouvons nous donner les moyens d'essayer d'avancé et de trouver une once de bonheur dans la vie. Camille, elle, n'arrive pas à le trouver, comme elle n'arrive pas à trouver sa place au sein du monde.
Au fil des pages, j'ai réussi à l'apprécier, à souhaiter qu'elle voit ses parents qui l'aime tant, les petits bonheurs qu'elle mérite, mais Camille est hermétique à tout ça, elle s'est enfermée dans une bulle où elle ne laisse rien passer. Elle a beau dire qu'elle comprends ses parents, je n'en suis pas si sûre, dans sa souffrance et dans sa volonté de mourir, elle oublie que le plus dur est pour ceux qui restent. C'est là où je n'adhérais pas à son comportement, même si d'une autre façon je la comprenais, prise de culpabilité, elle ne veut pas faire plus souffrir ses proches, mais d'un côté elle ne se rend pas compte que c'est cet isolement qui leur fait le plus de mal. Malgré tout l'amour que ses parents avaient pour elle, ils ne comprenaient pas, ils pensaient connaître la vérité, savoir quoi faire pour elle, mais en fin de compte Camille n'a fait que s'éloigner un peu plus devant l'incompréhension et le jugement. C'est un cercle vicieux.
Même si pour moi, Camille n'a jamais vraiment essayé de remonter la pente, j'ai été triste pour elle de la voir autant seule, enfermée dans son mal être. Je sais aussi combien c'est difficile d'expliquer une souffrance que personne ne voit et qui est propre à chacun. S'accoutumer à l'obscurité est plus facile que de se battre pour voir le jour. Camille fait partie des nombreuses personnes que la vie touche plus que d'autres et qui affronte chaque jour comme un combat de tous les instants.
Le roman est construit de tel manière qu'on ressent cette souffrance dans la première partie où Camille nous expose froidement sa dépression, comment elle en est arrivée à cette décision. La seconde est plus « apaisante », Camille intègre la clinique qui la verra mourir, elle est là pour partir en paix, pendant trois mois elle sera accompagnée du docteur Peeters qui sera un soutien sans jugement pour la jeune femme. Elle y trouvera une certaine paix et des petits bouts de bonheur. Avec sa fin ouverte,
Quand la nuit devient jour nous fait quitter Camille avec sérénité, on sait que quoiqu'il arrive, elle est en paix, en quelque sorte.
Est-ce que je suis d'accord avec Camille? Pas vraiment. Est-ce que je le comprends? Oui. En fait au lieu de se suicider, seule, peut-être d'une façon horrible, elle a juste choisi d'être accompagnée. En fin de compte, si je pense que la dépression ne peut être « guérit » que par celui qui est malade, le soutien et la compréhension des autres est aussi très important. Si Camille avait des parents aimants, ils n'ont pas suffi pour la sauver et je pense surtout que les aides extérieurs n'étaient tout simplement pas les bonnes. On le voit aux professionnels médicales qu'elle rencontre, ils se basent sur un schéma sans s'adapter à la personne qu'ils ont en face d'eux. Camille est l'ultra consciente de son état, mais n'a pas la force d'y faire face. Elle ne vit pas dans le déni, elle sait où elle en est, mais elle n'a aucune solution, elle ne sait pas comment y faire face, elle ne sait pas comment lutter, alors elle se laisse sombrer et tous les traitements qu'elle subit ne font que la conforter dans cette position.
J'avais assez peur de cette lecture, mais
Sophie Jomain a réussi le pari de parler de dépression, sujet de plus en plus présent dans les romans et d'euthanasie volontaire assistée, sujet tabou, interdit en France et accepté en Belgique sans tomber dans le pathos et complaisance. C'est un pari risqué, mais réussi. L'auteur parle avec justesse de cette maladie qui nous ronge et de ce choix qui n'appartient qu'à nous.
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