Grâce à un style détaillé et tout en immersion,
Imogen Hermes Gowar fait revivre le Londres demi-mondain de l'ère géorgienne comme si on y était. Son écriture très visuelle permet de mettre en scène cet univers rarement exploité dans la littérature contemporaine (on pense cependant à la série télévisée "Harlots") : un monde de luxure chatoyante et de vices qu'on poudre du simulacre de la vertu et d'autres joyeuses préciosités pour les rendre plus acceptables. Mais le fard et les apparences ne suffisent pas, car dans cette Angleterre où seul compte le titre, même une prostituée de luxe doit lutter pour être reconnue comme femme digne d'être respectée. Cette complexité sociale ainsi que les différents degrés du milieu de la prostitution, l'auteure les restitue merveilleusement bien et c'est probablement là l'un des points forts du roman.
L'élément central qu'est la sirène, aussi, est parmi ses autres excellentes idées. La description plutôt effrayante qui en est faite (évoquant un singe avec une queue de poisson) n'est pas anodine et renvoie directement à des événements réels : ces "sirènes" empaillées, présentées comme les restes de chimères véritables, ont pullulé dans les cabinets de curiosités au tournant du XIXème siècle. Souvent connues sous le nom de "Sirènes des Fidji", certaines de ces créatures sont aujourd'hui encore visibles dans les collections privées ou derrière les vitrines de quelques grands musées du monde. En fait conçues de toutes pièces à partir de membres de différents animaux, ces monstres factices étaient ensuite vendus à prix d'or sur le marché noir ou auprès de riches collectionneurs. Une curiosité de choix pour une intrigue à tiroirs, entre Histoire et mystère...
Et pourtant, malgré le potentiel que l'auteure avait entre les doigts (et malgré les excellentes critiques de la presse étrangère), nous n'avons été que très moyennement convaincus par ce roman. le cadre historique et les éléments de base sont brillamment amenés mais passé ce contexte initial, la romancière se perd dans les dédales de sa propre écriture et se noie au milieu des différents éléments qu'elle souhaite raconter. On nous fait suivre des personnages qui finissent par disparaître totalement, sans qu'on comprenne pourquoi ni comment et dans quel intérêt, et même la sirène (qui semblait pourtant être le point de conjecture de ces différents destins croisés) est expédiée au premier tiers du livre. On lui substitue une chasse à la sirène réelle, laquelle ajoute une note de fantastique par ailleurs mal dosée et encombrante, pour être de nouveau balayée de façon lapidaire au terme du livre.
Les personnages, assez peu attachants (exceptée Sukie, la nièce de Mr Hancock) et gouvernés par leur désir de survivre, s'affranchir, ou trouver une position dans un monde et une époque inégalitaires laissaient supposer une inspiration naturaliste pour ce roman. Dès lors, on cherche dans les nombreux soubresauts et autre péripéties du livre quelle analogie ou quelle symbolique l'auteure pourrait bien vouloir véhiculer ou faire deviner à son lecteur (une comparaison entre la figure mythique de la sirène et celle de la prostituée?) mais sans même être certain qu'il y a vraiment quelque chose à comprendre. le trop étant l'ennemi du bien, on ne voit plus où serait le sens caché au milieu de ce patchwork d'intrigues et de sous-intrigues... Et c'est bien dommage.
En bref : Un roman qui avait toutes les qualités pour fonctionner mais au charme duquel on est finalement resté hermétique sur la durée. L'auteure semble se perdre à travers les trop nombreux personnages et intrigues au milieu desquels on cherche encore le sens caché et les enjeux à l'oeuvre. le roman est néanmoins sauvé par sa reconstitution du milieu demi-mondain de l'Angleterre géorgienne et une très belle plume, incontestable.
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