Sûrement obnubilé par le drame des réfugiés - quoique l'euphémisme à la mode maintenant est "les problèmes identitaires" cela hypocritement choque moins - comme thème au centre de certaines campagnes pour les élections européennes de dimanche prochain, j'ai commandé distraitement un livre destiné à la jeunesse et non à un retraité. Comme j'ai cependant de la sympathie pour l'auteure,
Yaël Hassan, qui, victime d'un sérieux accident de la circulation, s'est mise à écrire à l'âge de 42 ans des livres pour nos jeunes ami-e-s dans lesquels ils apprennent des choses tout en se divertissant, j'ai décidé de lire ce petit livre en d'en faire un petit billet.
De l'auteure j'ai rajouté à la base des données de notre site une photo qui la montre en noir et blanc à l'âge de son public d'aujourd'hui.
Bien que son expérience personnelle soit assez variée, de parents juifs polonais, ayant vécu en France, Belgique et Israël, j'ai été surpris en lisant, en fin d'ouvrage, que pour le "Journal d'Ilse, 1938-1939" (le sous-titre),
Yaël Hassan s'est inspiré du scandaleux voyage du paquebot "Saint-Louis" d'Hambourg à Hambourg en 1939 avec presque mille réfugiés juifs à bord. La destination était en fait La Havane, mais arrivé dans le port, les autorités cubaines n'ont pas laissé débarquer les Juifs, en dépit des visas et dollars. de sérieux efforts pour descendre dans un port États-unien ou canadien n'ont rien donné et le bateau a dû rentrer en Europe. À l'arrivée du Saint-Louis au port d'Anvers, le 10 juin 1939, ce sont finalement l'Angleterre, la France, les Pays-Bas et la Belgique qui ont réparti entre eux ces misérables voyageurs, pour leur éviter un retour vers le Heimat et une persécution, entretemps notoirement accrue.
En 1976, Stuart Rosenberg a réalisé un film fascinant sur ce "Voyage des damnés" avec Faye Dunaway, James Mason, Orson Welles et l'acteur suédois préféré du grand
Ingmar Bergman, Max von Sydow, dans le rôle du capitaine Gustav Schroeder, qui a vraiment fait l'impossible pour venir en aide aux Juifs et après la guerre a reçu la médaille israélienne du "Juste parmi les nations" en mars 1993, hélas 34 ans après sa mort !
Il y a évidemment plusieurs ouvrages sur ce périple désastreux, entre autres celui de l'historienne réputée,
Diane Afoumado, "
Exil impossible : L'errance des Juifs du paquebot Saint-Louis", paru en 2005 et le livre de
Gordon Thomas et
Max Morgan-Witts "The Voyage of the Damned" qui a servi de base au film précité et que j'ai lu en 1977.
À ce livre une anecdote personnelle est liée. Ayant terminé l'ouvrage et parcourant distraitement les noms de la liste des passagers, qui figurait en annexe, grande était ma stupéfaction d'y lire le nom d'un Autrichien que je connaissais professionnellement comme le représentant de l'IATA, l'Association internationale des transports aériens, à une époque où j'étais responsable du secrétariat de la commission des transports du Parlement européen. Lorsque F.S. est décédé dans les années 1980, j'étais une des 6 personnes invitées au repas fixé par lui dans un bon restaurant relativement proche de nos bureaux. Dans un premier temps, il m'avait répondu que ce n'était pas lui et qu' ils y avaient des milliers des Juifs d'Europe centrale avec ce nom. Des années plus tard, à la cafétéria du PE il m'a tout à coup confié que c'était bien lui, mais qu'il ne souhaitait absolument pas en parler.
La jeune Ilse, 13 ans, est renvoyée de son école à Berlin, non parce qu'elle aurait commis une grosse bêtise, mais parce que, malgré ses cheveux roux et yeux bleus, elle n'est pas vraiment aryenne. Nous sommes le 16 novembre 1938, et ses grands-parents insistent pour que leur fils Martin parte à l'étranger avec son épouse Rosa et la gamine le plus rapidement possible. Martin, qui a déjà perdu sa place comme prof à l'université, ne veut pas abandonner ses parents. Lorsque ceux-ci se suicident, il réalise qu'il n'a plus le choix. Seulement, les restrictions à l'immigration au Royaume-Uni et aux États-Unis sont devenues de plus en plus importantes.
C'est à travers le journal intime d'Ilse que nous assistons aux événements dramatiques auxquels elle et ses parents sont confrontés, du moins lorsque notre petite héroïne n'est pas trop triste ou trop contente pour confier à son journal ses impressions. Mais rassurez-vous, elle se rattrape toujours. À travers Ilse, nous vivons les moments d'espoir et de désespoir qui se succèdent à un rythme infernal aux passagers du Saint-Louis au cours de leur pérégrination transatlantique aller-retour.
Par respect pour les jeunes, je ne vais pas résumer l'odyssée de la famille d'Ilse à bord du Saint-Louis du 13 mai 1939 en passant par Cherbourg, les Açores et leur arrivée en rade de la Havane, le 27 mai, et le retour forcé en Europe et leur débarquement à Londres, où Ilse à sa tante Martha pour accueillir le trio des réfugiés.
Ce qui m'a plu dans ce récit, où je n'ai prélevé aucune erreur historique ni raccourci douteux, c'est l'art d'
Yaël Hassan de présenter un récit captivant, authentique, sans être naïf ou simplificateur. Style et langage sont parfaitement adaptés au public visé. Pour nos jeunes doués, l'auteure a rajouté un petit chapitre sur la vie en Allemagne nazie, les dates principales de cette sinistre période, en terminant avec quelques suggestions de livres à lire et de films à voir.
En somme, une admirable formule qui a permis à la collection junior de
Gallimard Jeunesse une série d'ouvrages instructifs et agréables, soit voués à des périodes d'histoire, tels l'Occupation, la Guerre de 100 Ans etc., soit dédiés à des personnages historiques, comme par exemple Cléopâtre d'Égypte ou Catherine de Médicis.