Si j'en eusse eu le courage et le talent, j'aurais aimé faire une critique qui évoque l'écriture de
Marc Graciano, son écriture originale, au sens de singulière, son écriture qu'il faut apprivoiser, qu'il faut mêmement savoir dompter aussi parfois, principalement au début, car, si je suis habituée à la façon de surplomber la phrase proustienne, si je connais le style de
Pierre Michon et ses très longues périodes avec des expressions revenant en spirale, une écriture qui avance par des retours en arrière, il m'a néanmoins fallu m'habituer à l'écriture de
Marc Graciano, cette phrase qui n'en finit pas, qui s'étire, qui s'allonge, sur tout un chapitre, de plusieurs dizaines de pages, avançant par des virgules progressives, qui, peu à peu, apportent des éléments nouveaux, mais cette écriture n'est pas qu'un effet de style puisque cela permet de rentrer au plus près dans les pensées de
Johanne, ou plutôt celles de son écuyer, cela permet de suivre le rythme de la chevauchée de ses premiers compagnons d'armes, de suivre le rythme des chevaux de la troupe, les mots eux-mêmes nous permettent de rentrer intimement dans cette fin de Moyen-Âge, non qu'il y ait des fioritures de langage, mais, au contraire, car tous les mots utilisés sont ceux du XV ème siècle, pas d'anachronisme ou d'effet de style, pas de recherche de pittoresque, cependant chaque mot sonne justement car évoquant une réalité qui nous est un peu étrangère mêmement familière, éloignée dans le temps mais aussi assez proche, car, si on ne connaît pas parfaitement le sens de tous les mots, le contexte nous aide à comprendre et à ne pas être totalement perdus, comme
Johanne qui quitte son village mais qui reste mêmement en territoire familier puisqu'elle arpente la terre de France, mêmement l'usage fréquent des adverbes nous étonne un peu et progressivement nous séduit, mêmement le subjonctif imparfait indique le temps du récit, car, puisque c'est l'écuyer qui raconte, il sait ce qui s'est passé, il sait ce qui est arrivé et qui devait arriver, et ce temps des verbes permet d'inscrire le récit dans la légende, dans le mythe, mais surtout dans le conte, le conte de la petite bergère, et également dans la parabole puisque ce n'est pas un roman historique qu'on lit, ce n'est pas un roman historique qu'a écrit
Marc Graciano, non, vous ne trouverez pas de combat ou de bataille, mais juste le récit de formation d'une âme, et le récit du voyage d'une troupe menée par une jouvencelle qui sera sainte, et pour qui tout est signe, même si, pour moi, lectrice, il me manquait certaines références bibliques pour toutes les repérer, puisque tout évoque un parallèle entre
Johanne et saint-François, des stigmates aux oiseaux, voire entre
Johanne qui sera martyre et le Christ qui subît la Passion, du baiser au lépreux à la naissance de l'agneau puis à la Cène, c'est donc pour cela que nous lisons le récit d'une sainte qui sauvera la France, qui le sait puisque ses voix lui ont dit, ce que savent ses compagnons, et ce que nous savons déjà, et que nous n'avons pas besoin de lire puisqu'on nous l'a déjà raconté, nous voyons les signes car ils sont partout, des bûches de Noël dans la maison paternelle à la ferme incendiée par les routiers, de l'épée miraculeuse trouvée dans une chapelle aux chérubins blonds qui embrassent
Johanne, oui, le feu annonce les combats et annonce le bûcher, ce sont des signes pour nous, lecteurs, doués de prescience, pour nous aussi tout devait arriver et tout arrivera, dans un autre livre peut-être puisque ce récit s'arrête avant que
Johanne rencontre le Dauphine, le beau portrait de couverture étant finalement lui aussi un signe du futur qui n'est pas encore arrivé à la
Johanne du livre, mais qui sera celui de la Jeanne d'Arc de l'histoire.
J'ai fait une longue phrase, j'ai mis beaucoup d'adverbes, j'ai utilisé des virgules - moi qui pourtant préfère les tirets, mais je n'ai pas mis d'imparfait du subjonctif. Et, surtout, je n'ai pas le talent de
Marc Graciano. C'est dépaysant, déroutant, un peu long parfois, mais onirique et impressionnant. Et merci à l'émission de
Patrick Boucheron "Histoire de" sur France Inter qui m'a fait connaître cette oeuvre.