Difficile de trouver une étude en français sur la seule pièce de
Richard II qui ne relève pas d'un programme dédié aux étudiants. Par défaut, je me suis donc rabattu sur cet ouvrage destiné aux anglicistes passant le CAPES et/ou l'agrégation en 2004.
Une analyse intéressante, qui commence de façon assez originale en replaçant l'intérêt qu'on a porté à la pièce dans le temps, et particulièrement en Allemagne (le chapitre I s'intitulant "Un héros allemand"), puis comment elle fut à telle et telle époque perçue et critiquée. Arrive ensuite un chapitre sur les sources historiques, dont on ne saurait évidemment se passer ; il est d'ailleurs à noter que
Dominique Goy-Blanquet ne se contente pas de parler des Chroniques de Holinshed, loin de là. Suit un autre chapitre qui fait le point sur le véritable
Richard II. Puis vient l'analyse proprement dite des motifs, de la symbolique ("Le miroir tragique", "Le roi divin", "La métaphore royale"),
Dominique Goy-Blanquet donnant une interprétation de la pièce, non pas selon des critères personnels, mais en se rapportant à celles de différents critiques, y compris anciens, qui sont connus pour leur étude approfondie du sujet, mais aussi en se rapportant à la culture élisabéthaine et aux sources historiques. C'est là que les choses se corsent, car il est parfois difficile de démêler si le
Richard II dont elle parle est celui de
Shakespeare ou le roi véridique.
Les informations sont nombreuses, très nombreuses, on serait même tenté de dire qu'on croule dessous, et les sources citées, même si elles sont dans un premier temps présentées de façon développée, ont beau revenir régulièrement, on s'y perd un peu. Un exemple : parmi les potentielles sources historiques de la pièce se trouve un poème publié en 1595 écrit par un certain Samuel Daniel, dont personnellement je n'avais jamais entendu parler. Déjà, il se trouve qu'on prend connaissance de l'existence de ce texte dans le chapitre sur la critique, et non sur les sources ; ce qui est somme toute logique, mais nous perd un peu si on veut retrouver la référence en revenant en arrière. Ensuite,
Dominique Goy-Blanquet fait référence à Samuel Daniel et à son texte de façon récurrente en nommant l'auteur sous son seul nom de famille, et par conséquent, pendant un moment, faute d'avoir tout assimilé d'un coup d'un seul (car mes neurones avaient déjà fonctionné à un régime inhabituel), j'en venais à me demander : "Mais qui est ce fameux Daniel ?" Ça m'est heureusement revenu en cours de route, mais il est bien embêtant pour toutes les personnes non dotées d'une mémoire eidétique, c'est-à-dire à peu près tout le monde, qu'on ne puisse pas retrouver Samuel Daniel dans la bibliographie. Et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. On peut regretter aussi quelques répétitions, notamment concernant tout ce qui a trait à la symbolique royale. le chapitre final sur les personnages paraît particulièrement redondant, puisque les personnages les plus étudiés l'ont déjà été largement (Richard, Gaunt), alors que d'autres attendent encore d'être suffisamment cernés, comme... Bolingbroke (qui va devenir
Henry IV, je dis ça, je dis rien).
Dominique Goy-Blanquet maîtrise son sujet, ça je n'en doute pas un instant. Mais quant à se mettre à la portée des étudiants passant le CAPES, j'ai des doutes. C'est vraiment un ouvrage à la fois érudit, trop érudit à mon avis pour le public visé (il faut voir tout ce qu'elle conseille de lire aux étudiants !), et très synthétique, donc trop synthétique, évidemment, pour des spécialistes qui, eux, iront bien entendu du côté d'études bien plus approfondies. Si bien qu'elle me semble manquer son but.
Cela dit, si l'on est curieux de lire une analyse sur la pièce
Richard II, une fois qu'on est habitué aux phrases commençant en français, continuant en anglais (citations obligent), puis se terminant à nouveau en français, qu'on s'est fait aux vieilles graphies anglaises, une fois qu'on s'est dit qu'on ne retiendrait pas tout en une fois, et malgré les fausses digressions historiques - l'auteure emprunte parfois des détours pertinents mais plein de tortueux méandres pour expliquer telle ou telle symbolique -, on peut retirer de cet ouvrage pas mal de choses, dont une mine d'informations historiques. Et une analyse littéraire qui se tient. Mais il faudrait presque le lire deux fois pour bien l'appréhender ; or on serait plutôt tenté, au sortir de cette lecture, d'aller chercher de plus verts pâturages. Encore faut-il les trouver.
Challenge
Théâtre 2018-2019