Léger, léger… Ce plat de «
Viandes et légumes » est même tellement léger qu'il n'offre aucune consistance. Les mots s'enfilent les uns à la suite des autres et s'effacent aussitôt, anéantis par une intrigue qui n'a aucun autre but qu'elle-même. Et quelle intrigue, où il est question de la reprise controversée d'un bar à danseuses dans un petit coin paumé en France. Devrait-on frémir à l'évocation de toutes les idées tordues qui envahissent le cerveau du lecteur lorsqu'il s'imagine lire la description d'un bordel sordide ? Même pas. Et ce n'est pourtant pas faute d'essayer.
Guillaume Gonzales essaie de nous mettre dans le bain dès les premières lignes :
« Vous allez trouver que j'abuse mais en fait, ça me gonfle d'avoir hérité de ce club de striptease. Peut-être parce qu'une fille y a été tuée il y a huit jours. Découpée à la scie, comme dans les spectacles de magie. Presque comme dans les spectacles de magie. »
Tout de suite, les premières phrases font mouche. Sur la quatrième de couverture, on nous avait prévenus. Ce «
Viandes et légumes » est défini comme :
« Un roman doté d'un humour à la
Michel Audiard écrit par le fils naturel de
James Crumley. »
Rien que ça. Avec de telles références, on est en droit de s'attendre à du noir très noir mâtiné d'une bonne dose d'humour tranchant et acerbe. Mais le plus noir qu'il sera possible de trouver dans ces pages, outre l'atmosphère de suspicion pas très haletante qui nous fait présager des pires manigances dans l'anéantissement du bar, sera la description des soirées dansantes « chaudes » qui ont lieu dans le «
Viandes et légumes » :
« Naïma ayant encore tout son attirail sur elle, je vais la décrire tout de suite. le visage caché derrière un voile rose pastel, elle a encore élargi au khôl ses grands yeux noirs. […] le haut, soieries bleu azur et soutien-gorge à dentelles noir, laisse apparaître son nombril sous lequel tressaute une ceinture toute de maillons dorés. En dessous, un paréo bigarré pieds nus, l'Orientale dessine des arabesques d'une sensualité qui fait mourir les conversations sur les bouches bées. »
Alors que le lecteur est en train de s'endormir et de s'éloigner dans une paisible rêverie suscitée par la beauté de la description de cette « orgie », on tente de nous réveiller à coup d'humour.
Guillaume Gonzales a bien incorporé les règles du jeu du polar à l'humour noir : le jeu de mots qui fait mouche doit être au rendez-vous. On se cramponne, on lit avec appréhension, espérant que la chute sera bonne, et… Encore raté !
« C'est juste une expression. Et si vous ne sortez pas de chez moi très vite, je vais devoir vous botter le cul, ce qui constitue encore une expression puisque, comme vous pouvez le constater, je ne porte pas de bottes. »
Enfin, dans l'alignement des stéréotypes qui caractérisent le roman noir depuis des décennies, n'oublions pas le personnage couleur locale qui s'exprime à la manière du troglodyte arriéré et dont les obsessions fixes (la licorne) sont un enjeu comique propre à susciter le rire du lecteur. Celui-ci, décidemment, ne regrette pas d'avoir troqué sa soirée télé pour la lecture de ce livre aussi abrutissant qu'une émission spéciale années 80 :
« - Stune p'tain d'licorne, ‘pas ? J'déteste ces sal'peries d'licornes mi… »
Le cerveau du lecteur, comme lorsqu'il se trouve devant l'écran de sa télé, décide alors de se mettre en veille, jugeant pour lui qu'il vaut mieux se reposer que de se fatiguer à essayer de trouver du sens à ce qui n'en a pas. le lendemain, au réveil, le «
Viandes et Légumes » se trouve là, culbuté par terre. La page est perdue, impossible de la retrouver, toutes se ressemblent. Alors tant pis, on range le livre dans un coin perdu de sa bibliothèque et on oublie. La vie continue.
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