Coup de poing. L'expression est parfois utilisée à tort et à travers, mais là, croyez-moi, elle définit parfaitement ce roman sur l'esclavage moderne qui ne vous laissera pas une seconde pour souffler ou vous remettre de vos émotions.
D'un côté, nous allons suivre l'histoire bouleversante de cette petite fille dont on a volé l'existence et même le nom. Ses « maitres », les Charandon, l'appelleront désormais Tama, un nouveau prénom pour une nouvelle vie de servitude. Sefana, la mère, a beau être née au Maroc elle aussi, rien ne saurait les rapprocher. Elle compte bien user de sa propriété jusqu'à plus soif. « Jusqu'à ce qu'elle en meure » nous souffle notre instinct, tant le quotidien de la fillette est monstrueux. Personne ne doit savoir qu'elle existe en dehors des murs de la maison et connaitre le sort qui est lui réservé. Humiliée et battue par la mère, menacée chaque jour un peu plus par le pervers sadique qui lui sert de mari, Tama ne trouve de réconfort que dans l'amour que lui voue le plus jeune de leur enfant. On va suivre son calvaire, comme ça, sur plusieurs années, la boule au ventre et l'envie de massacrer ses tortionnaires… Mais malheureusement,
Karine Giebel nous apprendra que l'un chasse l'autre. Et l'histoire de Tama ira très très loin et révélera ce qu'il y a de pire chez les hommes.
De l'autre côté, il y a Gabriel, un homme dont on ne sait rien, sinon qu'il a déjà tué. Et qu'il pourrait vraisemblablement recommencer prochainement. Une jeune femme débarque chez lui, entre la vie et la mort. Pendant qu'elle git dans un lit, il devra lutter entre instinct de survie et curiosité, entre humanité et brutalité. Lorsqu'elle se réveille, elle ne sait plus qui elle, ce qui l'a menée jusque chez cet inconnu…
Ce sont ces deux fils qui vont tisser une histoire qui va me hanter un bon moment. C'est tellement violent, tellement sombre, tellement sans espoir qu'on peine à imaginer que ce genre de situation puisse véritablement exister… Que des gens sont encore aujourd'hui arrachés à leur foyer, cachés dans de belles maisons ou des appartement sordides et réduits en esclavage. Et puis je suis allée voir les témoignages des victimes relayés par L'Organisation Internationale contre l'Esclavage Moderne, un organisme avec lequel l'autrice a travaillé pour son livre, et la réalité est toute aussi effrayante. Je ne pense pas avoir été la seule dans ce cas, je crois qu'après une telle lecture, c'est la première chose qui s'impose naturellement.
Bien sûr, il y a tous les sévices insupportables qui ne nous sont pas épargnés, mais la violence vient aussi de l'emprise psychologique totale, de l'arrachement aux familles, de la destruction de l'estime de soi… A travers la personnalité incroyable de Tama (cela faisait longtemps qu'un personnage ne s'était pas autant incarné sous mes yeux), ce sont toutes ces voix silencieuses qui s'expriment et on ne peut qu'être touché. Et puis l'autrice évoque à merveille la question de la spirale de la violence, de la victime qui se change en bourreau quand elle n'a aucun autre horizon.
Toutes blessent la dernière tue n'est pas une lecture facile, mais étrangement, ses quelques sept cent pages ne paraissent qu'en faire cinquante, tant le style de
Karine Giebel est percutant. C'est un livre qui se dévore, qui est extrêmement bien ficelé (la construction même du récit flirte toujours avec le thriller) et qu'on ne peut pas lâcher, même si on souffre avec son héroïne.
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