Citations sur Et chaque fois, mourir un peu, tome 1 : Blast (98)
Il ressent un profond soulagement d’être à nouveau en mission. À nouveau utile en ce monde. Il se force à oublier qu’il est souvent impuissant face aux horreurs commises par l’être humain. Oublier qu’il a parfois soigné des criminels de guerre. Mais comme chacun a droit à un avocat, chacun a le droit d’être secouru. Il a accepté ces principes lorsqu’il s’est engagé. Il ne devra jamais les oublier ni les renier. Il devra y rester fidèle.
Sur les ondes, on parle en boucle de l'attentat. De ces milliers d'innocents ensevelis sous les tours du World Trade Center. Le monde est en état de sidération. Grégory sait que cet événement tragique générera une guerre, peut-être plusieurs. Il sait que les victimes de Manhattan engendreront des milliers d'autres victimes. Et il ne peut s'empêcher de songer au million de morts du Rwanda qui n'ont pas eu le même retentissement médiatique que les trois mille de New York. Il ne peut s'empêcher de constater que la vie humaine n'a pas la même valeur partout.
Partout dans le monde, la même violence, la même terreur, la même horreur. Mêmes cris, mêmes larmes. Mêmes rêves détruits, mêmes vies brisées. Partout sur le globe, la cruauté des hommes, leur imagination fertile mise au service de la souffrance et de la mort.
Et puis ma grand-mère dit toujours : il vaut mieux faire envie que pitié… Elle dit aussi : quand Dieu a créé la France, il a songé que c'était le plus beau pays du monde. Il a eu peur que ça fasse des jaloux, alors il a créé les Français ! — La mienne, elle disait toujours : un dictateur qui meurt, c'est une banque suisse qui ferme !
— Tu as une idée du métier que tu voudrais faire ?
Son fils hausse les épaules.
— Tu as le temps, ajoute son père. Tu es encore jeune.
— Et toi, tu veux quoi pour moi ?
— Que tu sois heureux. C'est la seule chose qui m'importe.
Pourquoi certains hommes ont-ils perdu toute trace d'humanité ?
Si on creusait en eux comme on creuse la terre à la recherche d'une civilisation engloutie, trouverait-on quelque reste d'altruisme ou de bonté ?
Inutile de dire à ce psychiatre qu’il plonge en enfer toutes les nuits depuis des années. Qu’Ilunga l’interpelle du fond de sa tombe dès qu’il ferme les yeux. Inutile de lui confier qu’une cohorte de cadavres le suit à la trace. Qu’il les croise sur le bord des chemins et des toutes, dans son jardin et même dans le miroir de sa salle de bains.
Grégory a quitté le Kenya il y a des mois. De sa première mission, il a rapporté d'encombrants souvenirs, de ceux qu'il est impossible de ranger au fond d'un placard ou sur une étagère. Il a bien tenté de les enfouir au plus profond de sa mémoire, mais ils refusent d'y demeurer.
On peut tout tenter pour l'étouffer, le passé ressurgira toujours.
Pour nous blesser, parfois nous achever.
Il injecte les vaccins, soigne les petites plaies. Contre les autres maux, ceux qui ne se voient qu'au fond des yeux, il ne peut pas grand chose.