« Longtemps j'ai cherché mon chemin dans le froid et la nuit tombante. Je n'aurais jamais pu imaginer que je finirais ici, allongé de tout mon long à terre, sans souci de la neige qui me tombe sur le dos, incapable de bouger, terrassé par la peur...»
Pendant la Première Guerre Mondiale, non loin du front…
Une nuit d'hiver glaciale, sous les coups des canons qui résonnent au loin, sous un ciel strié de lueurs jaunes par les tirs des obus, sur une terre dévastée par les bombardements, le jeune soldat Gaston Brache arrive dans un hameau austère de la région d'Artois.
La longue route qu'il a effectuée, n'a qu'un seul but : délivrer un message d'un compagnon d'armes décédé.
La terre tremble sous ses pieds, il frappe à la porte d'une ferme, un vieux paysan le fait entrer.
Gaston Brache révèle au vieux fermier les termes d'un curieux message : « je n'ai pas pu le contenir »…
Déclaration pour le moins sibylline, que le vieil homme comprend pourtant, car son visage reflète alors la plus indicible des peurs.
Tandis qu'à l'étage, des bruits étranges se font entendre, les deux hommes s'attablent autour d'un verre ; d'une voix blanche, le vieux entreprend la narration d'une histoire terrifiante...
Laurent Gaudé revisite le mythe du Golem dans un récit intense et ténébreux aux accents d'apocalypse.
L'homme de théâtre sait parfaitement camper décors et atmosphères en phrases simples, mesurées mais incommensurablement fortes, énergiques, puissantes, saisissantes.
Une écriture cinématographique qui, immédiatement, fait jaillir les images : les pas lourds dans la neige, les zébrures orangées dans le ciel de la nuit, les larges cicatrices que laissent dans la chair de la Terre les bombes éclatées…
On y est, on s'y croit, on le sent…
Ici, c'est la voix caverneuse d'un vieil homme qui s'élève, spectrale, tressautant de peur contenue, dans le noir de la nuit…
Ici, c'est l'effroi d'un jeune soldat qui écoute, et comprend que la peur, comme un venin mortel, coule désormais dans ses veines…
Ici, c'est la Terre qui souffre, qui geint, qui se tort et crie vengeance…
Les hommes l'ont à ce point dévastée, ravagée, détruite, qu'elle ne cherche plus qu'à les anéantir.
Ici, c'est un monstre de boue, de glèbe et d'humus qui se reconstitue…
Trois voix, celle du jeune soldat, celle du vieil homme, celle de la Terre, pour raconter la souffrance indicible, la cruauté sans borne, le ravage innommable que la guerre occasionne.
Soixante pages d'un texte sombre, mystérieux, captivant, effrayant, tirées du dernier recueil de nouvelles de
Laurent Gaudé, qui laissent augurer d'autres lectures aussi troublantes avec « Les oliviers de Négus ».
« Les nuages roulent. Les pierres craquent. le vent se lève. Je reste à terre. le monde est impatient de nous effacer. Je me tais. Je sais que, désormais, la peur ne me quittera plus. Jusqu'au bout de ma vie. La peur. Et rien d'autre. »