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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ce roman paru en 1993 a l'évidence des classiques instantanés.
D'une histoire simple et universelle, Ernest J.Gaines, surnommé le Faulkner noir » propose une oeuvre magistrale, lucide, désespérée et lumineuse, qui semble concentrer un siècle de l'Histoire de la Louisiane noire d'après la Guerre de Sécession , d'avant le combat pour les droits civiques.

Années 1940. le roman s'ouvre sur le procès expéditif d'un jeune noir quasi analphabète, Jefferson, pour le meurtre d'un blanc. Il est innocent, mais était là au mauvais moment, au mauvais endroit avec les mauvaises personnes. Son avocat commis d'office tente de le faire acquitter en le comparant à un porc, arguant du fait qu'un porc ne valait pas la peine qu'on le tue. Il est condamné à mort.

Un porc. Ces mots sont d'une violence terrible et hante Jefferson dans les couloirs de la mort. Ils hantent aussi sa marraine qui charge l'instituteur Grant Wiggins d'aider Jefferson à devenir un homme digne sachant accepter la mort dignement. Toute l'intrigue se cristallise autour d'enjeux intimes quasi philosophiques, de grandes questions séculaires en somme : qu'est-ce qui fait un homme ? Comment est-on censé mourir quand on n'a pas assez vécu et qu'on ne connait rien de la vie ?

Le personnage de l'instituteur raconte les dernières semaines de vie de Jefferson dans les couloirs de la mort, lorsqu'il le visite. Cette confrontation est passionnante , entre celui qui va mourir et s'enferme dans l'amertume et le cynisme, refusant de se nourrir et de se soucier des autres, et Grant l'instituteur désabusé par sa vaine mission de scolariser des enfants seulement 5 mois et demi dans l'année ( le reste étant consacré aux travaux des champs ), trop court pour « effacer, gratter, arracher le manteau d'ignorance qui a été plaqué et replaqué sur ces cerveaux ces trois derniers siècles ».

Le roman est autant le chemin qui mène Jefferson à sa dignité retrouvée, que celui de l'évolution de Grant, un homme noir, jeune, instruit pour affirmer son identité dans l'Amérique de la Ségrégation : Jefferson doit aller à la mort la tête haute, être l'homme le plus fort dans la pièce de la chaise électrique, ce qui lui confèrerait une dimension quasi christique ; Grant doit être celui qui résiste et le guide vers la liberté de choisir comment il va accepter la mort, le héros et le héraut d'une communauté afro-américaine qui doit détruire le mythe construit par les Blancs sur l'infériorité intellectuelle des Noirs. Son affrontement avec le révérend, celui qui croyait au ciel, pour éduquer Jefferson, est d'une grande intelligence.

Ce roman est d'une puissance d'évocation remarquable. On connaît la fin dès le départ, on sait que Jefferson sera exécuté. Il n'y a pas d'échappatoire mais la façon dont la tension monte, mots après mots, place le lecteur dans une réflexion sur le sort des Afro-Américains, d'hier et d'aujourd'hui, avec une rare profondeur. Dites leur que je suis un homme est un livre éminemment politique, il a la force d'un pamphlet tout en ayant la subtilité de persuasion de la douceur empathique, l'émotion affleurant de partout et explosant dans les dernières pages.

Déchirant d'actualité, définitivement un classique. Universel et limpide.
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Louisiane, dans les années 40. Deux jeunes hommes, Brother et Bear, embarquent avec eux Jefferson. Même s'ils n'ont pas un sou en poche, ils espèrent qu'Alcee Gropé, qui tient l'épicerie, leur fera crédit pour une demi-bouteille. Mais le vieil homme ne l'entend pas de cette oreille. Brother et Bear s'énervent, tentent d'en attraper une derrière le comptoir. Aussitôt l'épicier sort un revolver. Brother aussi. Trois morts à terre. Jefferson, choqué, ne comprend pas ce qui s'est passé. Bien qu'il n'ait pas tiré un seul coup de feu, n'ait pas participé à cette tragédie, le jeune homme se retrouve accusé du meurtre du vieux Gropé. Lors de sa plaidoirie, son avocat commis d'office, incompétent, le rabaisse dans sa condition d'homme. le traite d'idiot, d'incapable et va jusqu'à le comparer à un porc. La sentence tombe : mort par électrocution. Nan-nan, la tante de Jefferson, effondrée, choquée par ces propos, ne peut tolérer que l'on réduise son neveu à un porc. Elle et son amie, Lou, vont alors demander à Grant Wiggins, instituteur et neveu de cette dernière, d'aller voir Jefferson en prison afin de lui rendre sa dignité, lui faire prendre conscience qu'il n'est pas un animal...

Jefferson était tout simplement au mauvais endroit au mauvais moment. Double sentence pour ce jeune Noir démuni et illettré: condamné à mort par un jury composé de Blancs et humilié et rabaissé lors de son procès. Seul Noir de la communauté ayant fait des études et étant devenu instituteur, c'est à Grant Wiggins que sera confiée la tâche de redonner à Jefferson son statut d'homme. En Louisiane, dans les années 40, la ségrégation raciale était bien présente. Aussi, les Noirs devaient-ils ne faire et ne dire que ce que seule leur couleur de peau leur permettait. Wiggins, lui, peine à trouver sa place dans sa communauté. Sa relation avec une femme en plein divorce va encore compliquer sa position. Avec ce roman d'une grande profondeur, Ernest J.Gaines nous dépeint aussi bien le racisme, la place des Noirs au sein de la communauté, la supposée supériorité des Blancs, la religion omniprésente, l'injustice, le courage, la liberté... En tant que narrateur, Wiggins dépeint avec force et beaucoup d'émotion la relation si fragile qu'il noue avec Jefferson, l'ambiance électrique au sein de la communauté. L'antépénultième chapitre, le journal de Jefferson, orthographié phonétiquement, est d'une force incroyable. Un roman poignant, émouvant et d'une grande ferveur humaniste...
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Un soir comme il n'en faudrait pas, Jefferson « se dirigeait vers le White Rabbit Bar quand Brother et Bear avaient arrêté la voiture à côté de lui et lui avaient proposé d'aller faire un tour avec eux. » Ils en voulaient à son argent, évidemment. Et de l'argent, il n'en avait pas, évidemment. Alors les deux gars qui avaient soif et pas d'argent ont compté que le vieux Gropé leur ferait crédit pour une demi-bouteille. Ca ne s'est pas passé comme ça. le vieux Gropé est mort sous leurs tirs, Brother et Bear sous les siens. Jefferson, qui n'avait rien fait, s'est fait coffrer. Dans les années 40, en Louisiane. Jefferson est noir.

Ce sont les toute premières lignes du roman. Quelques lignes encore pour vous parler de la plaidoirie de son avocat. « Messieurs les jurés, regardez-le – regardez-le – regardez-moi ça. Est-ce que vous voyez un homme assis là ? » Je vous fais grâce de la suite, du même tonneau. Retenez seulement que Jefferson sera ramené au statut d' « animal traqué capable de frapper par peur, un trait hérité de ses ancêtres du fin fond de la jungle d'Afrique » avant que la plaidoirie se close sur cette interjection « Enfin, autant placer un porc sur la chaise électrique ! » et cette mise en garde sans aucune ironie « Chacun d'entre nous doit vivre avec sa conscience. »

Dites-leur que je suis un homme est un très beau roman classique. Deux tragédies s'y tissent. La première est inexorable, elle concerne le sort des Noirs américains dans les années 40, la sur probabilité que, dans les quartiers miséreux où ils sont confinés, moins bien soignés, recevant une éducation de moindre qualité, faisant tous les jours l'expérience de la ségrégation, du mépris et du dégoût qu'ils inspirent aux Blancs, les Noirs se retrouvent davantage mêlés à des rixes. Et que, partant de ce contexte, ils soient jugés de manière partiale, en leur défaveur naturellement.

De cette tragédie-là, on ne dira donc quasiment rien. La démonstration de son caractère inique se fera en filigrane, dans la construction des personnages, le déroulé de l'histoire qui, je ne vous mentirai pas, se finira pour Jefferson par une exécution.

Ce qui sera en jeu en revanche, c'est la dignité de Jefferson. Condamné à se diriger vers une mort certaine en sachant qu'on est considéré comme un porc, que même celui qui devait vous défendre ne vous voit pas autrement, c'est mourir deux fois.

La communauté noire de la petite ville est soudée autour de son pasteur et de quelques femmes dont Miss Emma, la marraine de Jefferson. Très âgée, épuisée par le temps qu'elle a donné à une famille de Blancs influents, la vieille dame impose à Grant Wiggins, l'instituteur et neveu d'une autre redoutable grenouille de bénitier, de restaurer à Jefferson l'estime qu'il doit avoir de lui-même avant de mourir. Qu'il y aille debout. Comment un homme plus instruit que ses voisins, lucide et athée pourrait-il accomplir ce miracle ? Il faudrait déjà qu'il croie en lui.

Voilà. C'est exactement et juste cela. Avec une économie de moyen, une galerie de personnages féminins magnifiques et un sens de la psychologie parfaitement maitrisé. Un très beau et très grand roman d'une écriture classique, sobre, efficace.

C'est la deuxième incursion réussie que je fais dans la collection piccolo après le coup du fou. Il va falloir que je surveille cette ligne éditoriale de près, elle recèle de vrais trésors.
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Vous l'avez, l'image de ces basketteurs en T-shirt "Black Lives Matter", le genou à terre pour dire leur révolte contre le meurtre de George Floyd ?
Vous l'avez, l'image de ces athlètes noirs sur un podium, levant un poing ganté à Mexico en 1968 ?
Le livre dont je vais vous parler m'a mis le genou à terre.
Et il est entré sur mon podium personnel sur ce thème. Sur la première marche il y a les romans de Toni Morrison. En troisième position, Les moissons funèbres de Jesmyn Ward. Dites-leur que je suis un homme prend aujourd'hui place entre les deux.
Louisiane, 1948.
L'esclavage est aboli depuis plus de 80 ans, mais la société sudiste reste profondément raciste et inégalitaire.
Dans ces conditions, comment un Noir peut-il conquérir sa dignité d'être humain ?
Ernest J. Gaines y réfléchit en partant d'un cas emblématique, celui d'un jeune Noir accusé à tort et condamné à mort par un jury exclusivement blanc. Une seule espérance soutient la femme, sa marraine, qui l'a élevé : qu'il meure en homme. Et une seule personne lui semble susceptible de l'y amener : l'instituteur. Oh, il y a bien aussi le pasteur, mais le secours qu'il peut apporter à la femme éplorée et à l'enfant condamné est d'une autre nature.
C'est l'instituteur qui raconte.
Un homme tourmenté, plein d'amertume et de doutes.
Son récit alterne entre visites à la prison, moments en classe (pas d'école ni de matériel, à peine 6 mois de cours par an et guère d'ambition pour ces enfants noirs) et instants de douceur auprès de Vivian.
Et au fur et à mesure qu'il visite le prisonnier et tente de créer un échange entre eux deux, sa propre réflexion grandit et s'approfondit.
C'est quoi la dignité d'un être humain dans ce monde ségrégationniste ?
"Tant qu'aucun de nous ne relèvera la tête, ils seront à l'abri."
Ce livre est celui qui relève la tête.
Un mot pour terminer sur l'écriture, magnifiquement traduite par Michelle Herpe-Voslinsky : la façon dont est rendue l'atmosphère, les dialogues, la tension et la réflexion dans le récit, mais aussi sa profonde sensibilité, tout, absolument tout, est de l'ordre du chef-d'oeuvre.
Un immense merci à Hélène (4bis) pour la découverte.

Challenge USA : un livre, un État (Louisiane)
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Louisiane, années 40. Jefferson, un jeune noir illettré, est arrêté après le meurtre d'un commerçant blanc. S'il était bien ce jour-là sur les lieux du crime, il a simplement assisté au drame. Accusé à tort, son avocat commis d'office avance pour sa défense qu'il n'est qu'un « animal sans cervelle ». Pour lui, tuer Jefferson reviendrait à attacher un porc sur la chaise et à l'exécuter. « Un animal qui ne comprendrait pas ce qui se passe. » Un argumentaire pitoyable qui n'empêchera pas la condamnation à mort. Peu après, la marraine du condamné demande à l'instituteur Grant Wiggins de lui faire comprendre qu'il n'est pas un porc mais bien un homme. Seul ou accompagné du révérend Ambrose, Wiggins rend régulièrement visite à Jefferson dans sa cellule et tente de redonner au jeune homme la dignité dont le procès l'a privé...

Ce roman met en jeu tellement d'aspects importants, il appuie là où ça fait mal et pose des questions qui ne peuvent qu'interpeller chacun d'entre nous.

Wiggins l'enseignant est un personnage d'une infinie complexité. Lucide, conscient que sa condition de noir dans la Louisiane des années 40 ne lui autorise aucun avenir. Conscient de ne pas pouvoir remplir la tâche qu'on lui a confiée. Conscient de sa lâcheté, notamment le jour de l'exécution : « Pourquoi n'étais-je pas là-bas, pourquoi n'étais-je pas à son coté ? Pourquoi mon bras n'était-il pas autour de ses épaules ? Pourquoi ? ». Conscient de l'injustice permanente que subissent les siens : « Douze hommes blancs décident qu'un homme noir doit mourir, et un autre homme blanc fixe la date et l'heure sans consulter un seul noir. C'est ça la justice ? […] Ils vous condamnent à mort parce que vous étiez au mauvais endroit au mauvais moment, sans la moindre preuve que vous ayez été mêlé au crime, en dehors du fait d'avoir été sur les lieux quand il s'est produit. Pourtant, six mois plus tard, ils viennent ouvrir votre cage et vous informent : nous, tous des blancs, avons décidé qu'il est temps pour vous de mourir. » Sa fragilité est au coeur du texte. Il ne se sent pas investi d'une mission. Il semble totalement perdu face à une situation qui le dépasse mais au fil de ses visites, il trouve un sens à l'action qu'il mène auprès du condamné. Petit à petit il parvient à apprivoiser Jefferson et à lui transmettre cette absolue certitude : tu es un homme, tu n'es pas un animal comme ils veulent te le faire croire.

De son coté, pour que Jefferson abandonne le statut d'animal et se considère comme un homme à part entière, le révérend Ambrose veut lui parler de Dieu. le révérend Ambrose veut le sauver. Il veut le préparer pour le monde meilleur qui l'attend après la mort. Et pour cela il a besoin de Wiggins. Car c'est le seul que Jefferson écoute. Mais Wiggins ne sait rien de l'âme. Il ne croit pas au ciel, il ne lui dira jamais d'y croire.
- Suppose qu'il te demande s'il existe, qu'est-ce que tu feras ?
- Je lui dirai que je ne sais pas.
[…]
- Et s'il te demande si tu crois au paradis, tu feras quoi ?
- J'espère qu'il ne le fera pas révérend.
- Mais s'il le fait ?
- J'espère que non.
- Tu ne pourrais pas lui dire oui ?
- Non révérend, je ne pourrais pas. Je ne pourrais pas lui mentir dans un moment pareil. Je ne lui mentirai plus jamais, quoi qu'il arrive.

Wiggins l'athée refuse que Jefferson se mette à genoux devant le Seigneur avant de s'asseoir sur la chaise. Il veut le convaincre de rester debout jusqu'au dernier instant, pour briser le mythe de l'homme blanc :
« Tu sais ce que c'est qu'un mythe, Jefferson ? lui ai-je demandé. Un mythe est un vieux mensonge auquel les gens croient. Les blancs se croient meilleurs que tous les autres sur la terre ; et ça, c'est un mythe. La dernière chose qu'ils veulent voir, c'est un Noir faire front, et penser, et montrer cette humanité qui est en chacun de nous. Ça détruirait leur mythe. Ils n'auraient plus de justification pour avoir fait de nous des esclaves et nous avoir maintenus dans la condition dans laquelle nous sommes. Tant qu'aucun de nous ne relèvera la tête, ils seront à l'abri. […] Je veux que tu ébrèches leur mythe en faisant front. Je veux que toi – oui, toi- tu les traites de menteurs. Je veux que tu leur montres que tu es autant un homme, davantage un homme qu'ils ne le seront jamais.»

En fait, ce roman, c'est tout cela à la fois. L'injustice, la religion, l'éducation, l'amour, le statut de l'homme noir dans une région où la ségrégation n'est pas un vain mot, la place de chacun au sein d'une communauté… c'est tout cela et bien davantage encore. Je reconnais que l'écriture, très descriptive, n'a rien d'exceptionnel. Mais peu importe. Les vingt-cinq dernières pages sont poignantes. Elles vous attrapent le coeur et le serre tellement, tellement fort… C'est juste bouleversant, j'en ai eu des frissons et je peux vous dire que ce n'est pas le genre chose qui m'arrive souvent au cours d'une lecture.

Ernest J. Gaines est un immense auteur afro-américain bien trop méconnu sous nos contrées et Dites-leur que je suis un homme est son chef d'oeuvre. Un roman essentiel, inoubliable. Pas pour rien qu'il a remporté l'année de sa sortie le National Book Critics Circle Award (le grand prix de la critique américaine).


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le narrateur Grant Wiggins est un instituteur noir dans un village de Louisiane . Dans les années 1940, le seul espoir des jeunes est de travailler dans les champs de cannes à sucre ou quitter le village.
Grant a été élevé par sa tante et vit toujours chez elle. le dimanche après la messe, la tante reçoit sa meilleure amie Miss Emma pour un café-gâteaux. Miss Emma n'est plus toute jeune et élève seule son filleul Jefferson, pauvre gars désoeuvré.

Un jour, Jefferson se laisse entraîner par deux voyous, qui lui proposent d'aller faire un tour avec eux et acheter à crédit de l'alcool chez l'épicier le vieux Gropé. Mais celui-ci refuse, le compte n'y est pas et les deux hommes ont déjà trop bu. Après un échange de coups de feu, seul Jefferson est encore debout et se retrouve accusé de meurtre.

Au cours du procès, il se fait traité de porc par l'avocat nommé par le tribunal et condamné à mort . A partir de ce jour, il refuse les repas que lui apporte sa marraine quand elle vient le voir en prison,et ne parle à personne.
Devant Miss Emma effondrée, la tante fait promettre à Grant d'aller voir Jefferson en prison et d'en faire un homme avant qu'il meure.
Lourde tâche pour cet enseignant qui aura besoin de tout l'amour de sa compagne pour l'aider.

Dans ce livre, beaucoup de questions, de belles rencontres, des moments forts, des personnages superbes.
Une envoûtante écriture pour parler des laissés-pour-compte. Magnifique.
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Dites-leur que je suis un homme..... A la lecture de la quatrième de couverture,
je m'attendais à un livre-procès, mêlant témoignages et plaidoyers. Genre que je ne prise pas plus que ça. Mais bon, le sujet m'intéressait.
En fait, le livre commence par la fin du procès et l'annonce de la condamnation à mort de l'accusé.
Mais parce que l'avocat de Jefferson a construit sa défense en décrivant son client comme le dernier des idiots qui s'est juste "trouvé au mauvais endroit au mauvais moment" et surtout parce qu'il a pensé le servir en faisant de lui un animal et en prononçant la phrase fatidique :
" Quelle justice y aurait-il à prendre sa vie ? Quelle justice messieurs ? Enfin, autant placer un porc sur la chaise électrique ! "
Parce que cet avocat donc, a jugé nécessaire de rabaisser Jefferson à l'état de bête incapable du moindre raisonnement et de la moindre préméditation, un homme va se voir chargé de la plus difficile des taches. A savoir, redonner à Jefferson sa dignité et le convaincre de son humanité.
Car l'homme est à genoux, brisé par la colère.

Voici donc le point de départ de ce formidable plaidoyer contre la ségrégation et les préjugés.
Mais c'est un prétexte... Rien de plus. Parce que l'auteur va nous emmener dans la Louisiane des années 50 et nous faire toucher du doigt et de l'âme la "négritude".

Et c'est Higgins, l'instituteur noir des "quartiers" qui va nous emmener au coeur des préoccupations de la population africaine dans une Louisiane encore stigmatisée par la ségrégation.
En nous offrant une belle galerie de portraits allant de la tante vieillissante et accablée de Jefferson au pasteur de sa congrégation, du shérif blanc et de ses acolytes, de sa maîtresse aimée ou de ses élèves, aucun n'est caricatural. Ni tout Noir, ni tout Blanc....

Ernest J. Gaines nous questionne sans jamais donner de réponse. Il nous laisse non pas juger mais observer. Il explique les incertitudes des uns et des autres. Les certitudes aussi.
Il raconte et pose un oeil critique sur ses frères de couleur, et sur les autres. Il parle de Dieu, de la foi et de l'incroyance. Il parle de la peur, de la mort, de l'injustice.
Et surtout il parle de la négritude.
" La Négritude, à mes yeux, n'est pas une philosophie.
La Négritude n'est pas une métaphysique.
La Négritude n'est pas une prétentieuse conception de l'univers.
C'est une manière de vivre l'histoire dans l'histoire : l'histoire d'une communauté dont l'expérience apparaît, à vrai dire, singulière avec ses déportations de populations, ses transferts d'hommes d'un continent à l'autre, les souvenirs de croyances lointaines, ses débris
de cultures assassinées.
Comment ne pas croire que tout cela qui a sa cohérence constitue un patrimoine?
En faut-il davantage pour fonder une identité? " - Aimé Césaire

"Une manière de vivre l'histoire dans l'histoire".... C'est de ça dont veut nous parler
Ernest J. Gaines

Ainsi nous allons assister aux rencontres entre Higgins et Jefferson.
Nous allons nous indigner, nous émouvoir et pleurer... Oui, nous allons pleurer.
parce que le destin de Jefferson est joué d'avance, tout comme celui de Higgins.
Et que notre tolérance à l'injustice est ici bien malmenée...

Le style est simple, plutôt dépouillé. Mais les mots sonnent juste et fort.... Et l'émotion nous étreint. Nous en venons à nous sentir pris dans un étau de contradictions. Nous ne savons plus où regarder et nous finissons par pleurer un chagrin bien primaire.... Une violente révolte nous pousse à embrasser la cause perdue.
Et nous ne savons pas encore, au moment de tourner la dernière page si Jefferson va oui ou non, mourir debout.
Et sur ces derniers mots : "je pleurais", nous laissons nos larmes parler à notre place....
Et ce "Je pleurais", donne au récit toute sa force, et nous dit ce que nous sommes.
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Louisiane – Fin des années 1940 – Un homme, Jefferson, jeune noir analphabète, comparait devant la justice pour un crime pour lequel il se dit innocent mais auquel il a assisté étant au mauvais moment, au mauvais endroit. Au-delà de la sentence, aussi terrifiante soit-elle, la mort par électrocution, il y a une phrase, des mots qui vont se graver dans son esprit et celui de ses proches, lors du procès et ces mots vont être prononcés par son avocat pour le défendre : l'indulgence est demandée parce qu'il n'est pas un homme mais un porc…..

"Messieurs les jurés, regardez-le – regardez-le – regardez-moi ça. Est-ce que vous voyez un homme assis là? (…) Mais supposons qu'il ne le soit pas. Supposons-le un seul instant. Quelle justice y aurait-il à prendre sa vie ? Quelle justice, messieurs ? Enfin autant placer un porc sur une chaise électrique ! (p12-p13)"

des mots qui vont accompagner les derniers mois de Jefferson alors qu'il attend son exécution dans le couloir de la mort. Sa marraine, Miss Emma, sa « nan-nan » va demander à Grant Wiggins, instituteur dans une école pour enfants de couleur, et donc supposé capable d'arriver, car il est lui l'éducation nécessaire, à convaincre Jefferson de retrouver sa dignité d'homme, de se tenir debout jusqu'à l'exécution de sa peine.

"Nous, les hommes noirs, nous avons échoué à protéger nos femmes depuis l'époque de l'esclavage. Nous restons ici dans le Sud et nous sommes brisés, ou nous sauvons en les laissant seules pour s'occuper d'elles-mêmes et des enfants. (…) Ce qu'elle veut, c'est que lui, Jefferson, et moi, nous changions tout ce qui s'est passé depuis trois cents ans. (…) mais ce qu'elle veut entendre d'abord, c'est qu'il n'a pas rampé devant ce Blanc, qu'il s'est tenu debout au dernier moment et qu'il a marché. Parce que s'il ne le fait pas, elle sait qu'elle n'aura plus jamais l'occasion de voir un homme noir marcher la tête haute pour elle. (p197)"

C'est un combat que va mener Grant face à un homme que l'on a humilié, rabaissé à l'état d'animal mais il va mener un autre combat, celui de sa propre dignité d'homme face à sa famille, à son travail et à Vivian, la femme qu'il aime, mère de deux enfants et qui risque de perdre leur garde si leur liaison vient aux oreilles de son ex-mari avant que le divorce ne soit prononcé, sans oublier la confrontation avec la religion, omniprésente et socle de la communauté, une religion dans laquelle Grant ne se reconnaît plus, ne croit plus, pour lui il n'y a plus de Sauveur en dehors de l'homme lui-même.

On sait en voyant la couverture et en lisant le titre où nous nous engageons. On comprend dès les premières pages que le combat n'est pas uniquement contre la sanction (même si la peine de mort et son application plane tout au long du récit créant une tension permanente) mais la manière de la vivre, de l'accepter, de l'affronter et de se tenir face à elle, face aux blancs et donc par ce biais de la dignité humaine.

Comment la retrouver quand ceux qui vous jugent et ont donc pour vous la connaissance, vous qualifie d'animal et pas n'importe quel animal, un porc, un cochon vivant dans la fange et la boue. Tout au long du récit l'auteur démontre le pouvoir des mots sur un homme quand ceux-ci l'humilient, le catégorisent, on est plongé dans une société où la ségrégation est encore omniprésente avec ses « quartiers » où sont logés les gens de couleur, leurs emplois, leurs écoles à temps partiel car l'autre partie du temps est consacré au travail dans les champs de canne à sucre, la manière dont les blancs en particulier ceux qui détiennent le pouvoir, l'argent les traitent, leur parlent, les humilient.

C'est un roman d'une extrême violence dans les situations, les confrontations, les combats, mais d'une sobriété de mots pour décrire ce qu'il y a de plus violent : l'attente d'une mort programmée, la manière de mourir, l'humiliation d'être ramené à l'état animal mais également des passages de toute beauté en particulier dans la manière dont Grant va ouvrir Jefferson à lui-même, à son propre respect, au chemin qu'il doit emprunter et son pourquoi pour mettre à mal l'image à laquelle on l'a réduit :

"Les Blancs de par ici disent que tu n'as pas ce qu'il faut – que tu es un cochon, pas un homme. (…) Ces gens-là ne sons pas meilleurs que nous, Jefferson. Ils sont pires. C'est pour ça qu'ils cherchent toujours un bouc émissaire, quelqu'un d'autre à blâmer. Je veux que tu leur montres la différence entre ce qu'ils pensent de toi et ce que tu peux être. Pour eux, tu n'es qu'un nègre parmi les autres : pas de dignité, pas de coeur, pas d'amour pour ton peuple. (p226)"

En enjoignant Jefferson a se relever, Grant lui démontre qu'il peut devenir un mythe, un héros capable de redonner une place à ceux que l'on considère et traite comme des sous-hommes, des bêtes. Même lui, l'homme instruit mais noir n'a pas autant de pouvoir, il ne peut se cantonner qu'à instruire des enfants dans une église (même pas une vraie école) car seul lieu possible pour eux, une profession qu'il n'aime pas parce qu'il sait que cela ne changera pas l'ordre des choses institué par les Blancs.

On plonge dans une Louisiane imbibée de ses traditions sectaires, les rapports Blancs/Noirs transpirent sans avoir besoin de s'appesantir sur eux tellement elles transparaissent dans les faits, les attitudes, les regards. La dernière partie du roman retraçant le compte à rebours des dernières heures de Jefferson est extrêmement habile : il est fait à travers les habitants de la ville, de l'installation de la chaise électrique, chacun aura en mémoire ce qu'il fait ce jour-là, à cette heure-là donnant encore plus de poids à l'événement.

Ce roman est magistral par son traitement, par son contenu, par tout ce qu'il soulève et évoque. Dans une écriture au plus près des personnages, dans la peinture d'une Louisiane imprégnée de ses vieux démons, de ses personnages en particulier les personnages féminins comme Miss Emma qui sait comment manipuler pour obtenir, qui ne s'avoue jamais vaincue et qui tient à bout de bras son neveu mais également Grant, qui place la dignité au-delà de tout et mènera le combat jusqu'à ses propres limites, Tante Louise, Vivian mais également le personnage de Paul, l'adjoint blanc du shérif, qui donne un autre visage et espoir au rapport entre les deux communautés.

J'ai beaucoup aimé et ne suis pas prête de l'oublier.
Lien : https://mumudanslebocage.wor..
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En Louisiane, dans les années 40, Jefferson est accusé d'avoir tué un blanc. L'avocat le défend en le présentant comme « un idiot », « un animal" : le condamner à mort serait aussi vain que de placer un porc sur la chaise électrique. Ce déni de l'humanité de son filleul, Miss Emma ne peut l'accepter et elle charge l'instituteur de lui rendre toute sa dignité humaine avant l'exécution - elle veut qu'il meure comme un homme.
L'écriture est sobre, juste, fine, et quelque chose de très fort, de profond, vibre dans cette belle sobriété.
La beauté des personnages et de leurs relations aussi contribuent à transcender la dureté de la réalité décrite, il y a beaucoup d'humanité dans ce livre malgré la discrimination, la misère et l'injustice, ce n'est ni plombant ni asphyxiant, la question "Comment rester debout, comment rester humain" reste vivante et vibrante.
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Avec Dites-leur que je suis un homme, Ernest J. Gaines s'empare d'une histoire simple, de gens simples dans un contexte inique pour y dénoncer le racisme dans l'Amérique de la fin des années quarante : une petite bourgade en Louisiane, Jefferson, un jeune homme noir peu instruit, est le seul survivant de la fusillade déclenchée par deux jeunes noirs qu'il connaît à peine et dans lequel l'épicier blanc a également trouvé la mort. le jugement, par un tribunal blanc, est vite rendu et la peine de mort est prononcée.
Le jeune Jefferson est prostré non par la sentence mais par la ligne de défense que l'avocat commis d'office a utilisée dans sa plaidoirie : le comparer à un animal, un porc qui ne serait pas assez intelligent pour commettre un braquage...
Cette image va provoquer chez le jeune Jefferson une blessure énorme, remettant en cause sa qualité d'homme, il s'enferme dans un mutisme dont sa marraine n'arrive pas à l'extraire. Il faudra l'intervention du jeune instituteur de la communauté pour redonner sa dignité d'homme et soigner cette blessure qui plus largement va réveiller les tensions dans toute la communauté noire de la petite ville.
Ce récit m'a apporté une émotion telle, qu'à plusieurs reprises, je n'ai pu retenir mes larmes qui venaient du plus profond, ce récit fait appel à l'humanité qui est en nous (en moi en tout cas)......Ernest J. Gaines avec un style simple sait mettre en valeur les sentiments de ces personnages sans manichéisme en les faisant évoluer, se posant des questions existentielles d'une façon naturelle et tous ces éléments font la force de ce roman, d'une humanité que j'ai rarement lue.
J'espère que cet écrivain trop méconnu va enfin être apprécié à sa juste valeur, il le mérite tellement, un énorme coup de coeur pour ma part.
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