AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Kirzy


Ce roman paru en 1993 a l'évidence des classiques instantanés.
D'une histoire simple et universelle, Ernest J.Gaines, surnommé le Faulkner noir » propose une oeuvre magistrale, lucide, désespérée et lumineuse, qui semble concentrer un siècle de l'Histoire de la Louisiane noire d'après la Guerre de Sécession , d'avant le combat pour les droits civiques.

Années 1940. le roman s'ouvre sur le procès expéditif d'un jeune noir quasi analphabète, Jefferson, pour le meurtre d'un blanc. Il est innocent, mais était là au mauvais moment, au mauvais endroit avec les mauvaises personnes. Son avocat commis d'office tente de le faire acquitter en le comparant à un porc, arguant du fait qu'un porc ne valait pas la peine qu'on le tue. Il est condamné à mort.

Un porc. Ces mots sont d'une violence terrible et hante Jefferson dans les couloirs de la mort. Ils hantent aussi sa marraine qui charge l'instituteur Grant Wiggins d'aider Jefferson à devenir un homme digne sachant accepter la mort dignement. Toute l'intrigue se cristallise autour d'enjeux intimes quasi philosophiques, de grandes questions séculaires en somme : qu'est-ce qui fait un homme ? Comment est-on censé mourir quand on n'a pas assez vécu et qu'on ne connait rien de la vie ?

Le personnage de l'instituteur raconte les dernières semaines de vie de Jefferson dans les couloirs de la mort, lorsqu'il le visite. Cette confrontation est passionnante , entre celui qui va mourir et s'enferme dans l'amertume et le cynisme, refusant de se nourrir et de se soucier des autres, et Grant l'instituteur désabusé par sa vaine mission de scolariser des enfants seulement 5 mois et demi dans l'année ( le reste étant consacré aux travaux des champs ), trop court pour « effacer, gratter, arracher le manteau d'ignorance qui a été plaqué et replaqué sur ces cerveaux ces trois derniers siècles ».

Le roman est autant le chemin qui mène Jefferson à sa dignité retrouvée, que celui de l'évolution de Grant, un homme noir, jeune, instruit pour affirmer son identité dans l'Amérique de la Ségrégation : Jefferson doit aller à la mort la tête haute, être l'homme le plus fort dans la pièce de la chaise électrique, ce qui lui confèrerait une dimension quasi christique ; Grant doit être celui qui résiste et le guide vers la liberté de choisir comment il va accepter la mort, le héros et le héraut d'une communauté afro-américaine qui doit détruire le mythe construit par les Blancs sur l'infériorité intellectuelle des Noirs. Son affrontement avec le révérend, celui qui croyait au ciel, pour éduquer Jefferson, est d'une grande intelligence.

Ce roman est d'une puissance d'évocation remarquable. On connaît la fin dès le départ, on sait que Jefferson sera exécuté. Il n'y a pas d'échappatoire mais la façon dont la tension monte, mots après mots, place le lecteur dans une réflexion sur le sort des Afro-Américains, d'hier et d'aujourd'hui, avec une rare profondeur. Dites leur que je suis un homme est un livre éminemment politique, il a la force d'un pamphlet tout en ayant la subtilité de persuasion de la douceur empathique, l'émotion affleurant de partout et explosant dans les dernières pages.

Déchirant d'actualité, définitivement un classique. Universel et limpide.
Commenter  J’apprécie          11214



Ont apprécié cette critique (106)voir plus




{* *}