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Une septologie en une seule phrase et une infinité de virgules…

Avant l'attribution du prix Nobel de littérature cette année 2023 à Jon Fosse, cet auteur m'était totalement inconnu. Comme chaque année j'ai pesté – quoi, toujours pas le Nobel pour le portugais Lobo Antunes ?? – et puis, curieuse, j'ai pris le seul livre disponible de cet auteur chez mon libraire préféré qui m'a avertie : ce n'est pas une lecture facile. Et moi de rétorquer que les lectures ardues, les expériences de littérature, c'était précisément ce que je préférais, j'en veux pour preuve les flux de pensée antunesques, les soliloques faulknériens ou encore les errances beckettiennes que je lis comme certains dégustent des friandises. Avec délectation. Autant le dire franchement, j'ai trouvé un nouvel os à ronger en termes de monologues, Jon Fosse m'a conduit vers une nouvelle expérience insolite que j'ai trouvée plus ardue encore que les deux premiers maîtres mentionnés. Il ne surpasse pas Beckett cependant. Jon Fosse m'a étonnée, sa singularité m'a fascinée, et c'est bien ce que je recherche, entre autres, lorsque je découvre un nouvel auteur qui plus est primé par le prestigieux Nobel. Certes, après avoir terminé ces 400 pages étonnantes, j'ai le mal de mer, certes je me suis posée mille et une questions restées sans réponse, certes parfois il m'a franchement exaspérée, mais bon sang l'empreinte laissée par cette écriture va rester ancrée longtemps en moi. Ce livre, je le sais, sera inoubliable.

Donc, si nous résumons, la bande des soliloqueurs facétieux s'agrandit : j'ajoute désormais le norvégien Fosse au portugais Antunes, à l'irlandais Beckett et à l'américain Faulkner. Il appartient lui aussi en effet à ce genre d'auteurs exigeants, ardus, qu'il faut prendre le temps d'approcher, avec lesquels il s'agit de se familiariser pour comprendre l'univers, qu'il est nécessaire de lire à voix haute par moment. Ce genre d'auteurs qui ne connaissent pas la ponctuation, une phrase faisant tout un chapitre, voire tout un livre (c'est le cas ici, il n'y a pas de point). Et nous sommes comme branchés directement au cerveau de l'écrivain, les pensées sont retransmises comme elles s'écoulent, fleuve indomptable et intime. Si Antunes a certaines obsessions se traduisant par des bouts de phrase répétées à l'envi, obsessions portées sur l'avant et après dictature salazarienne, ou encore les horreurs vécues durant la guerre en Angola, Fosse, lui, a une écriture influencée par les deux arts qu'il semble apprécier : la peinture et le théâtre. Et ses obsessions portent davantage sur le temps qui passe, la notion de beauté dans les arts, et la présence incertaine de Dieu. A la moiteur maritime coloniale et sanglante de l'un répond le froid glacial scandinave de l'autre. A l'Histoire impactant la petite histoire omniprésente chez Antunes, l'intime et la quête identitaire sont préférés chez Fosse.

Avant de raconter l'histoire, soulignons que l'écriture de Jon Fosse est fortement influencée par la peinture et le théâtre. le héros est peintre dans le livre et Jon Fosse lui-même est le dramaturge le plus connu de Norvège et le plus joué en Europe. C'est important pour tenter de comprendre une façon d'écrire qui pourrait rebuter le lecteur qui passerait alors à côté du merveilleux que nous offre l'auteur norvégien. En effet, dans ce livre, le héros, enfin le héros et l'anti-héros, j'y reviendrai après, sont des peintres. L'écriture est imprégnée d'une part par ce qu'ils voient, notamment les jeux de lumière et d'ombres. Certaines descriptions sont ainsi serties par de subtils dégradés de couleurs. L'acte de peindre est libérateur pour le héros car cela lui permet de mettre sur toile certains plans fixes obsédants et ainsi de « dé-peindre » les images, souvenirs en plans fixes, de s'en libérer en quelque sorte. Il m'est d'avis que la vision du peintre, qui en peignant ne cesse de relever la tête pour capter peu à peu tous les détails, explique par moment des passages entiers envahis d'un coup par une multitude de « et » alourdissant considérablement le texte. Cela ne peut pas être un souci de traduction. Cela reste mon analyse, peut-être ai-je tort, c'est comme ça que je m'explique des pages comme celle-ci :

« …et il se lève, et il met un pied devant l'autre, et il remarque qu'il tremble de tous ses membres, et il pense qu'il doit aller à la cuisine, qu'il doit se trouver un petit quelque chose à boire, et il va à la cuisine, et il ouvre le bouchon de la bouteille posée à côté d'un verre sur la table de la cuisine, et il soulève la bouteille des deux mains, et il enfonce le goulot dans le verre, et il arrive à se servir d'eau de vie… ».

De même, les dialogues sont hallucinants car envahis par les « il dit » et « je dis » à chaque bout de phrase prononcé, rendant leur lecture pénible et quasi absurde. Je pense que l'auteur y voit des scènes de théâtre permettant ainsi de visualiser le face à face et de renforcer le côté miroir des échanges entre humains qui sont très rares.

A moins que ces deux éléments répétitifs s'expliquent par le fait que le livre soit écrit en « néo-norvégien », une variation du norvégien propre aux régions rurales du pays.


Voilà pour les côtés sans doute pénibles du livre. Les « et » et les « il dit » incessants par moment. J'ai tenté d'en trouver des explications. Si on accepte ces passages, la langue de Fosse est hypnotique et musicale, un rythme lent qui se cale sur celui des flocons de neige. Il faut avancer, malgré mes alertes, et alors des images hypnotiques vont émerger. Celles des routes de campagne sous la neige, celle d'une aire de jeux où deux amoureux se cachent sous un long manteau noir alors que la neige les recouvre, celle d'une maison au bord d'un fjord, celle de nuits blanches illuminées par la neige…Et des prénoms telles des variations d'un même prénom : Asle, Ales, Asleik, Alida…
Quant à l'histoire et l'interprétation que nous pouvons en faire, c'est une merveille. Car l'histoire est fascinante et source de multiples interprétations, et le charme qui se dégage du livre est bien réel. Alors, de quoi parle ce livre ?

Nous suivons Asle en cette fin d'année. Il est peintre, veuf, et vit seul dans une maison sur la côte sud-ouest de la Norvège, dans un village reclus nommé Dylgja. Sa vie est simple et assez solitaire. Il n'a que deux amis : son voisin Asleik, pêcheur traditionnel et Beyer son galeriste qui vit dans la grande ville d'à côté, Bjorgvin. Dans cette grande ville, vit également un autre homme du nom de Asle comme lui, qui est peintre comme lui, qui porte un grand manteau noir et une sacoche en cuir marron comme lui, cheveux blancs ramenés en chignon comme lui (et comme l'auteur d'ailleurs, je lisais en imaginant deux Jon Fosse jumeaux…allez voir le portrait de l'auteur, il a une présence charismatique, l'imaginer dans le livre a rendu le texte plus percutant)… Sauf que ce second peintre est alcoolique au point d'y perdre la santé. Une version alcoolique et urbaine de lui-même. Ce second Asle est en quelque sorte ce que le premier Asle aurait pu devenir s'il n'avait pas arrêté l'alcool des années auparavant. Asle « voit » son double même lorsqu'ils sont éloignés, mu par un sentiment de culpabilité omniprésent : « et je roule toujours vers le nord, dans le noir, et je vois Asle assis dans son canapé, et il regarde quelque chose et il ne regarde pas quelque chose, et il tremble, il frissonne, il tremble tout le temps, il frissonne tout le temps, et il est habillé exactement comme je suis habillé ». Dans la nuit du lundi, il le trouvera étendu dans la neige, le conduira à l'hôpital, dormira à l'hôtel puis repartira le lendemain chez lui avec le chien du malade. Asle a réussi, contrairement à son double, à trouver la lumière dans l'art, l'abstinence, la foi. Cette recherche de lumière se retrouve à maintes reprises dans le roman et surtout dans les tableaux d'Asle envahis d'ombres lumineuses. Une esthétique du contraste qui rejoint sa vision du monde empreinte de dualités.

« et il pose une main sur ses cheveux, mais il pose sa main sans lui toucher les cheveux, et ils s'enlacent, et ils s'étreignent, blottis l'un contre l'autre, et il pose la main sur les cheveux, et il se met à caresser ses longs cheveux foncés, de haut en bas, et elle pose sa tête sur son épaule, et je vois qu'ils restent comme ça, dans cette position, sans bouger, et ils ressemblent à une nouvelle image, à l'une de ces images que je n'oublierai jamais, à une image que je vais peindre, je vais les peindre et les dé-peindre, je vais les peindre et les dé-peindre dans cette position, je pense, car on a l'impression qu'une lumière sort d'eux quand ils sont dans cette position, enlacés, blottis l'un contre l'autre, comme s'ils ne formaient plus qu'un, dans cette position on a l'impression qu'ils ne forment plus qu'un, oui, blottis l'un contre l'autre pendant que la nuit tombe, pendant que l'obscurité tombe sur eux comme de la neige, l'obscurité tombe comme une chute de flocons mais une obscurité qui n'en demeure pas moins inentamée, non comme des pans d'obscurité mais comme une obscurité floconneuse, neigeuse, et plus cette obscurité s'épaissit plus la lumière jaillit, oui, une espèce de lumière sort d'eux, je le vois, et même si on ne voit pas la lumière on la voit quand même, car la lumière peut aussi sortir des gens, surtout de l'oeil, et surtout par des étincelles, sous la forme d'une invisible lumière étincelante, mais d'eux sort une silencieuse lumière régulière, qui reste la même et ne change pas, comme si blottis l'un contre l'autre dans cette position ils étaient une seule et même lumière... ».

Cette histoire est-elle réelle ? N'est-elle qu'imaginaire, un fantasme ? le peintre sobre se questionne-t-il sur ce qu'il aurait pu devenir ? N'est-il pas en train de prendre soin de la part abandonnée de lui-même, part dont il a honte mais envers laquelle il reste fidèle malgré tout ? Cette part abandonnée, ce possible évité, ne fait-il pas partie de lui ? Pourquoi nous sommes ce que nous sommes ? Ne sommes-nous pas constitués de tous nos possibles ?

J'ai particulièrement aimé le regard de Asle sur lui à différents moments de sa vie, des Asle plus jeunes qui passent tels des fantômes, exploration incarnée de l'écoulement du temps. Il lui suffit de regarder un endroit et les images du passé surgissent au point de le voir jeune, de découvrir des poses aimés qu'il souhaite peindre pour les « dé-peindre » et tenter ainsi ne pas se dissoudre dans les images qui l'obsèdent tout en rendant ces poses universelles. Réussir à faire de l'expérience personnelle quelque chose d'universel. Ce regard-là est fascinant.

Les réflexions sur la beauté en art sont également très intéressantes. Est beau ce qui est reconnu beau par le plus grand nombre ? Ou bien l'artiste doit-il s'affranchir de ce que pensent les autres et dans ce cas est beau ce qui fonde sa singularité basée sur son intimité ? Lorsque Asle reproduit à l'identique, dans sa jeunesse, des maisons, des paysages et qu'il est adulé pour cela, lui se trouve médiocre. Seules ses croix, deux bandes de couleurs d'épaisseur variable, un trait violet croisant un trait marron pour former une croix en diagonale, trouvent grâce à ses yeux désormais, ce que les autres, notamment son voisin, trouvent incompréhensibles. Un totem, l'entrelacement des deux couleurs étant le reflet des dualités présentes dans le texte. le violet couleur de la spiritualité et le marron celui de la fange…je m'égare sans doute.


L'autre nom réunit les deux premiers tomes de d'une septologie de près de mille pages, septologie écrite en une seule phrase (c'est fou, oui). Il est traversé par une façon unique d'écrire que certains nomment déjà du nom d'un nouveau courant littéraire : « le réalisme mystique ». Je ne connaissais que Karl Ove Knausgaard, Knut Hamsun et Roy Jacobsen comme auteurs norvégiens. Celui qui est devenu un phénomène littéraire récemment en Norvège est Knausgaard, et le moins que l'on puisse dire, c'est que ces deux auteurs sont très différents. Knausgaard se base sur l'autofiction pour écrire ses livres, Jon Fosse est à l'opposé de toute forme d'autofiction puisqu'il écrit sans temporalité, sans ponctuation, sans rapport direct à sa vie (mais on retrouve du Jon Fosse dans le héros), et que tout est métaphorique et soumis à multiples interprétations. le seul objectif de Fosse est de faire émerger de l'obscurité toute la lumière, comme le peintre Asle, tout en étant conscient des zones d'ombres qui nous sont constitutives. Un coup de maitre qui se mérite !


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Ce volume contient les 2 premières parties d'une septologie ! D'accord, alors je vous le dis tout de suite ; je ne lirai pas les 5 autres, d'autant que la fin de celles-ci ne présage rien de joyeux pour la suite. Ce texte traduit du Néo-norvégien (il faut le préciser car on ne sait jamais, il y a peut-être encore quelques vikings qui trainent par là-bas ;-) ; Ce texte disais-je est essentiellement un long monologue intérieur et répétitif, parfois entrecoupé de dialogues entre gens n'ayant pas grand-chose à se dire ! C'est une sorte de litanie introspective, sans point, mais avec des virgules et quelques majuscules (peut-être est-ce ça le néo-norvégien ?). le narrateur est artiste-peintre, il vit dans un village au bord d'un fjord. Il se nomme Asle, il est veuf, solitaire, et n'a que deux amis : son voisin pêcheur et un autre peintre nommé comme lui Asle, qui est alcoolique, et vit dans une ville un peu plus loin ... L'écriture étant particulièrement ennuyeuse, l'histoire l'est aussi.
Les 3 principaux thèmes de ce roman sont les réflexions sur l'art, précisément la peinture, p.327 « Il y a beaucoup plus de couleurs qu'il y a de noms pour les désigner... » ; le mal-être, l'alcoolisme, la solitude, l'ennui ... ; Et la foi, car le gars l'a, la foi, catholique, alors il y a aussi quelques prières (y compris en latin), p.120 « une lumière venant de Dieu (...) car le mot même de Dieu dit que Dieu existe ». L'auteur est parait-il un grand dramaturge, on le ressent effectivement dans la construction de ce texte : Unité de temps (2 jours), unité de lieux (3 en tout), 4 personnages (plus quelques autres évoqués), un grand monologue et quelques dialogues.
Pour moi, les seuls intérêts de cette lecture sont donc les pensées, certes, répétitives, du peintre sur son art** en lien avec sa foi : p.263 « je peux rester assis longtemps ainsi, et ces moments silencieux je crois qu'ils se transforment en lumière dans mes tableaux, en une lumière qui devient visible dans l'obscurité, oui, qui devient une obscurité lumineuse ». Cette fameuse « obscurité lumineuse » que l'on retrouve tout au long du texte, dans les pensées autistiques du narrateur. Ça fait peu quand même. Allez, salut.
P.S. : J'avais coché - parmi d'autres - ce bouquin dans la superbe liste de la Masse Critique de septembre, la 4ème de couverture m'intriguais, me questionnais, ce titre pouvait me plaire ... je me suis trompé, tant pis. Merci néanmoins à la fabuleuse Masse Critique Babelio et aux éditions Christian Bourgois.
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L'Autre Nom, livre de neige, grave et délicat, dont les cris sont à la fois étouffés et très clairs, laisse se rencontrer tous les temps de la vie d'un homme. Passé et présent bien sûr, et quelques projections, futurs envisagés, devoirs à accomplir ; mais des temps abandonnés aussi, qui continuent à vivre sans le personnage, à circuler à travers les noms, les êtres, les bruits, les images et les récits, comme les possibles d'un destin déjoué de justesse.
On y suit Asle, un peintre aux cheveux longs et gris, habité par des images qu'il essaie de "dé-peindre", circulant d'un fantôme à l'autre, établissant des relations avec un voisin esseulé, un ami prénommé comme lui étendu dans la neige, ivre mort, qu'il faut conduire au bar puis aux Urgences, le chien de celui-ci, un factotum qui a peur du chien, et une femme qui a deux noms.Chaque rencontre est à la fois drôle et tendre, toujours surprenante. Il y a beaucoup de douceur dans ces esquisses, mais aucun mensonge : la répulsion côtoie l'amitié la plus profonde, la peur se mêle au désir, la pudeur à la brutalité. L'autre est reconnu comme tel parce qu'il appuie sur certains mots, parce qu'il emploie telle ou telle expression, parce que sa différence est une étrangeté.
Asle, lui, est un homme sans chiffre, qui ne sait pas se repérer dans une ville - un homme qui ne cesse de se perdre dans la multitude, de se dissoudre dans les images. Sa fragilité est flagrante - âme presque nue, ou que le temps dénude, vouée à trouver la lumière dans le noir. Son caractère est celui d'un homme solitaire, qu'on imaginerait volontiers reclus, replié sur lui-même, et pourtant tout le porte vers les autres, le besoin, la culpabilité, le hasard, la dépendance, l'amour aussi.
Le livre est riche d'interprétations. Qui est cet autre Asle étendu dans la neige, alcoolique, comme l'était autrefois l'Asle qui le relève ? le peintre sobre est-il en train de prendre soin de cette part abandonnée de lui-même, à laquelle il reste malgré tout fidèle ? Et pourquoi son voisin n'a-t-il que deux lettres de plus dans son prénom, Asleik ? Pourquoi celui de sa femme, Ales, est-il un anagramme du sien ? Qu'est-ce qui, dans le nom, fait l'être ? Quel agencement permet telle vie plutôt que telle autre ?
Tout est gouffre : la pensée, le rêve, le récit, la prière, la réalité - le langage s'y précipite, plonge et nous entraîne. le livre tient, tout au long de ces deux journées dans la vie d'Asle, cette tonalité si particulière qui ouvre sur une émotion vive, image cachée sous toutes les autres.
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Le prix Nobel de littérature a au moins le mérite d'attirer l'attention du public sur des auteurs parfois peu connus. Personnellement, je ne suis pas sûre que j'aurais découvert ou abordé cet auteur réputé difficile sans ce prix et d'excellentes chroniques sur Babelio.
C'est donc avec curiosité que j'ai ouvert L'Autre nom, premier volume de la Septologie de Jon Fosse et c'est avec regret que j'ai refermé ce livre.

Dans ce premier volume, nous suivons les déplacements sur deux journées du peintre Asle, veuf inconsolable, habitant une maison de famille dans un lieu isolé avec pour seul voisin, un paysan, célibataire endurci, avec qui il entretient des relations cordiales, tissées de services rendus. Deux solitudes qui se rencontrent pour parler, discuter et partager un repas à l'occasion.
Au cours de la première journée, Asle se rend par deux fois à Bjorgvin à deux heures de route, la première pour faire ses courses, la deuxième, pour s'assurer que son ami, nommé Asle également et peintre également, mais souffrant d'alcoolisme depuis de nombreuses années, et en mauvaise santé, n'a pas besoin d'aide. Bjorgvin est également la ville où il expose ses oeuvres chaque année, pendant l'Avent et où il se rend pour la messe dominicale car Asle est catholique.

Ces déplacements en voiture ne sont pas que géographiques : ils sont des voyages dans le passé. Asle se revoit jeune homme avec son épouse adorée. Il revit également deux épisodes dramatiques de son enfance. Passé et présent se mêlent dans un flux de pensées qu'aucun point ne vient interrompre. La conscience est au coeur de ce roman singulier où les chronologies se chevauchent et les identités se brouillent pour mieux traduire la fluidité de nos pensées et la volatilité de nos émotions. Asle et son homonyme dont nous suivons également les pensées et les souvenirs reflètent ainsi les visages possibles de deux destinées différentes. In fine, qui sommes-nous réellement ?

Ce roman est aussi une réflexion sur l'art comme quête du sens de la vie et tentative de restitution de la vérité à travers les images pour le peintre ou les mots pour l'écrivain. J'y vois ici une double approche par l'auteur/narrateur, dans sa démarche littéraire et par l'intermédiaire de son personnage, pour rendre compte de cette mystérieuse présence au coeur du monde, qu'Asle appelle lumière, grâce ou Dieu, et qu'il perçoit dans l'obscurité des choses, « sauf que la plupart des gens ne la voient pas, ou bien ils la voient mais sans le savoir, oui, de ça je suis sûr et certain, ».

C'est aussi une méditation sur l'amitié, la solitude et la mort. du grand art.
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En lisant un article du traducteur de Jon Fosse, Jean-Baptiste Coursaud, dont il faut souligner l'incroyable talent, j'ai découvert que l'auteur avait fait le choix de ne jamais utiliser le point de ponctuation, alors qu'il abuse littéralement de la virgule (7820 nous dit-il).
Curieusement, je n'avais pas remarqué ce parti-pris tant le roman se lit quasiment en apnée, avec des respirations que l'on ne peut s'octroyer qu'en faisant une pause dans la lecture. Impossible de lire ce texte d'une traite, tant les répétitions martelées des "il pense" et " il dit" sont méthodiquement lancinantes et, pour moi, épuisantes.

D'autant plus que l'intrigue est relativement simple : il s' agit des réflexions, des souvenirs, du ressenti, du sentiment de culpabilité d'un peintre qui vit seul et s'interroge sur ce qu'il peut faire pour aider un autre peintre qui porte le même nom que lui et semble être son double négatif. le premier vit assez confortablement de son art, entretient de bonnes relations avec son voisin pêcheur et, même s'il regrette la disparition de sa femme, ne souffre pas de solitude. le second est alcoolique, ne parvient plus à peindre, est divorcé et a perdu tout contact avec ses enfants. Les deux Asle pourraient être deux versions d'un même homme qui aurait suivi un chemin différent, à la suite d'un traumatisme d'enfance.

Quant à l'écriture elle-même, si elle est assurément travaillée, poétique, proche de la mélopée, elle est aussi, pour moi en tous cas, très lourdement indigeste. Si quelques belles scènes, comme celle de la balançoire, permettent d'avancer dans la lecture, il m'a fallu de longues pauses pour pouvoir l'achever.
Merci toutefois à Masse critique et à Christian Bourgois pour cette découverte insolite et intéressante.
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Asle, artiste peintre vivant seul après la mort de sa compagne Ales, pense durant tout ce flux de conscience. Il pense et il échange avec son voisin Asleik. Il pense et il voit des images réelles ou imaginées, on ne sait pas. On construit au fur et à mesure de la lecture tout ce qui compose la vie d'Asle, notamment ses habitudes, ses manies, ses éternels retours du quotidien. Asle se répète beaucoup. Il nous entraîne dans son ressassement. Cela pourrait apparaître futile, mais revenir sur ce que l'on a entendu, sur ce que l'on a lu, est le meilleur moyen de l'intégrer, de le penser. Comme Asle pense beaucoup il laisse place souvent à des silences et il se passe bien des choses durant ces silences.
L' Autre Nom compose les deux premières parties d'une septologie à paraître. Comme les sept jours de la Création ? Je pense, j'imagine...
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Une lecture exigeante, envoûtante et hypnotique qui mérite de prendre son temps et son souffle. Elle en vaut sacrément la peine !

Quand on commence, inutile d'attendre le point pour respirer. Jon Fosse n'utilisera que des points d'exclamation ou d'interrogation, dans une longue phrase ininterrompue, un discours intérieur mêlant passé et présent, pensées et souvenirs. Heureusement, le lecteur peut s'appuyer sur des virgules. Ces virgules donnent un rythme, un rythme lancinant, répétitif, qui nous fait plonger dans une musicalité introspective, dans les affres de l'intériorité, des regrets et du temps révolu, entre oubli et réminiscences, rêves et mémoire, fantasme et réalité.

L'histoire, simple, se déroule sur deux jours : Asle, un peintre solitaire, rentre chez lui à Dylgia (Norvège) en voiture. Il se demande s'il doit s'arrêter chez son ami Asle (oui, le prénom est le même), peintre également, solitaire aussi. S'agit-il de deux personnages différents ? S'agit-il des deux facettes du même homme, s'agit-il de l'Asle du présent et de l'Asle du passé ? Ou bien de l'Asle réel et d'un Asle imaginé ? Chacun comprendra le texte comme il le voudra.

On aura d'un côté l'Asle alcoolique, qui boit seul ou à l'Auberge le Dernier Bateau, qui n'a pas la foi mais un chien, et celui qui ne boit plus, qui a été amoureux d'Ales (il ne s'agit pas d'une erreur, la femme aimée par Asle s'appelle Ales) et qui a la foi. On glisse sans arrêt d'une situation à l'autre, d'un double à l'autre, jusqu'à se perdre parfois (attention, il faut mieux être bien concentré pendant la lecture de ce livre). La foi est un axe fort de ce roman, tout comme les questions autour de la création. le narrateur semble vouloir nous montrer qu'un homme peut prendre un chemin ou un autre, qu'il peut surmonter les traumatismes ou s'enfoncer dans la déchéance. Mais dans un cas comme dans l'autre, l'homme est-il maître de sa destinée ? Et quelle autre solution que l'amour (d'une femme, de Dieu, de l'art …) pour parvenir à vivre ?

Après avoir déjà été frappée en plein coeur par le théâtre de Jon Fosse, j'ai adoré me perdre dans la transe dramatique et les circonvolutions Fossiennes de la septologie I et II. J'ai hâte de poursuivre cette expérience et de retrouver ce monde sombre et mélancolique, où la spiritualité et l'amour semble l'unique moyen de sauver l'homme de sa condition désespérée.

A découvrir ABSOLUMENT !

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L'autre nom/ Det andre namnet, Septologie I-II
Jon Fosse
roman
Traduit du néo-norvégien par Jean-Baptiste Coursaud
Christian Bourgois, 2021, 414p


De Jon Fosse, né en Norvège en 1957, j'ai entendu le nom, c'est tout, et pourtant c'est l'un des dramaturges vivants les plus connus au monde. Il est traduit dans plus de 40 langues. Prix Nobel de littérature 2023, il appelle à le lire ceux qui ne le connaissent pas. Il écrit en néo-norvégien, c'est-à-dire la langue des origines, la langue nationale, celle des campagnes et des zones rurales. A Bergen, on parle le néo-norvégien.
Je prends Septologie à la médiathèque. Je connais tri- et tétralogie, pourquoi septologie et non heptalogie ? Sept fait peur car L'Autre nom, soit les deux premiers tomes de la Septologie, n'est fait que d'une seule phrase, avec une intrigue presque inexistante, et un personnage qui monologue longuement et dit son quotidien : il peint, et dans sa peinture, s'intéresse à la lumière, et a la foi. Pour arriver à peindre, il a besoin de dé-peindre les images qui le hantent. Il a un voisin pêcheur, Asleik, qui s'y connaît bien en peinture, et un ami prénommé comme lui, peintre comme lui, fasciné dans son enfance par les multiples nuances des couleurset qui a un long manteau noir et une sacoche avec bandoulière comme lui. Ils ont les mêmes cheveux gris avec chignon. La différence est que l'autre boit constamment tandis que lui est sobre depuis longtemps. L'événement marquant est que le peintre sobre regrette de ne pas s'être arrêté chez le peintre alcoolo, et alors que le soir tombe, retourne chez lui et le trouve si mal en point qu'il l'amène à l'hôpital. Les deux Asle et Asleik sont très seuls. L'ennui aussi semble les cerner.
Il est aussi question de noyades, dans le fjord, celles de deux jeunes enfants, et comment Dieu permet-il cela ?
Les personnages ont des noms très ressemblants quand ce n'est pas le même, ainsi la soeur d'Asleik s'appelle Gurbo, un nom pourtant pas banal, de même que la femme qu'il rencontre à Bjørgvin, chez qui, semblerait-il, du temps où il buvait, il serait déjà allé et avec qui, elle qui serait une femme de mauvaise vie, il aurait partagé le lit, la femme défunte du peintre sobre, qui peignait des icônes, s'appelle Ales.
Cela se passe en Norvège entre Dylgja et Bjørgvin, la grande ville, Bergen, où se trouve son galeriste qui va bientôt exposer les toiles du peintre, au moment de l'Avent, il les expose toujours. Il neige précocement et beaucoup, et la blancheur de la neige rend le paysage et le soir moins sombres.
La première phrase du livre et des tomes commence par « Et », ce qui voudrait dire que le personnage est pris poursuivant son monologue. Ce monologue ne va pas sans redites, et surtout il est entrecoupé par des incises qui ne sont pas toutes indispensables. La prose est lente. La lecture se mérite, mais en même temps, si on lit de façon continue, la lecture n'est pas désagréable. le deuxième tome se termine sans se terminer, la conversation, ou du moins les quelques phrases émises entre de longs silences, n'est pas finie, et le lecteur ne sait pas si Ales accompagnera finalement Asleik chez sa soeur.
L'Autre nom est le nom de qui ? A la fin du deuxième tome, le mot Nom porte une majuscule et désigne celui du peintre alcoolo. Est-ce que ce serait la lumière, trace visible de Dieu ?

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Jon Fosse, L'autre nom - 2021 -

Journal de lecture - 9- 10 juin 2024 -

« Peintre veuf, Asle mène une vie recluse sur la côte sud-ouest de la Norvège. Il a pour seuls amis son voisin Asleik, un pêcheur traditionnel, et Beyer, son galeriste, qui vit à Bjorgvin, la ville la plus proche. C'est aussi là qu'habite un autre Asle, un solitaire alcoolique également peintre. Tandis que l'année touche à sa fin, Asle décide de ramener ce double désespéré du côté des vivants. »

Roman trouvé par hasard et, quand j'ai appris que l'auteur était un Nobel 2023, j'ai eu le goût de le découvrir. J'ai failli être rebutée dès les premières pages : les paragraphes font parfois plus d'une page et les phrases sont longues. Mais je me suis habituée bien vite à cette forme d'écriture haletante et obsessive, ponctuée par de nombreuses virgules qui nous donnent le temps de respirer.

La mécanique du souvenir en ses ritournelles d'images, les rêveries, les rituels quotidiens, les divagations de la conscience, le radotage des conversations et du mental, la vie intérieure du peintre : C'est souvent par le style que l'on saisit les thèmes du roman et c'est cela qui me fascine. C'est aussi, je crois, ce que l'auteur a voulu, à preuve, cet extrait du roman : « …et c'est incompréhensible, je pense, et je pense que c'est pareil avec l'écriture que j'aime lire, ce qui importe n'est pas ce qu'elle dit littéralement au sujet de ceci ou de cela mais quelque chose d'autre, quelque chose qui parle silencieusement dans et derrière les lignes et les phrases…»

Au deuxième jour de lecture, j'ai été moins envoûtée par l'écriture, les procédés se répétant trop et l'histoire ne livrant pas du tout ses secrets. Je demeure perplexe : roman raté ou chef-d'oeuvre ? Chose certaine, il met devant nous nos insuffisances conversationnelles avec soi ou avec les autres. Bizarre tout de même que toutes ces redites et ces répétitions aient su me charmer dans un premier temps. Je serais curieuse de lire d'autres oeuvres de cet auteur, mais il n'y en a pas vraiment de disponible sur mes plateformes numériques. En connaissez vous ? Je demeure persuadée que sans un certain état d'esprit, cette oeuvre peut être détestable ! Il y aurait cinq autres livres… je ne suis pas certaine de les,lire !





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Beckett rencontre Knausgard rencontre Maître Eckhard. La désorientation est la première impression que vous obtenez en tant que lecteur lorsque vous commencez ce livre. L'auteur nous offre un long flux de conscience, avec des éléments très répétitifs, et un enchaînement de phrases sans point, en totale 350 pages. On ne sait pas qui parle : l'artiste Asle ou son ami/voisin Asleik ? Ou s'agit-il d'une seule et même personne, ou peut-être d'autres personnages portant le même nom ? Je ne suis en aucun cas le premier à suggérer que Fosse semble très fortement inspiré par Samuel Beckett.
Ce que l'on peut distinguer plus ou moins, c'est que le narrateur fait quelques allers-retours entre sa maison et la ville, aide un ami souffrant d'un grave problème d'alcool (ou de dépression ?) et réfléchit constamment à son dernier travail d'art, une peinture avec une bande horizontale et une bande verticale, qu'il associe à ses intenses expériences religieuses. L'histoire est interrompue par de longues conversations banales, des actes insignifiants, et la description de deux scènes touchantes entre un garçon et une fille, qui peut n'être ne sont que des flash-back du narrateur à son premier temps avec sa femme récemment décédée. Fosse laisse volontairement beaucoup de flou, mais la réflexion récurrente du personnage principal sur sa peinture semble pointer dans la direction de Karl Ove Knausgard, avec son obsession pour le banal et le sublime. Et les passages religieux qui s'y mêlent ont une orientation esthétique-mystique, d'où ma référence à Maître Eckhart.
Je peux comprendre que certaines personnes soient complètement folles de ce livre, mais pour moi, c'était juste un peu trop cérébral, trop un fouillis de mots, pour vraiment plaire. Je ne sais pas à ce stade si je vais m'aventurer dans les prochains versements.
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