Dans le paysage artistique contemporain,
Fred Forest est un artiste pionnier et franc-tireur. Depuis la fin des années 60, il marie art et nouvelles technologies. Passionné par l'art, j'ai lu avec intérêt ce livre consacré à un pan de la création artistique, situé en marge des courants dominants et du marché de l'art. Même si son travail est très pointu et relativement avant-gardiste,
Fred Forest jouit néanmoins d'une certaine reconnaissance au sein des grandes instances de légitimation. Titulaire d'un titre de doctorat, il possède un solide bagage théorique dans le domaine des sciences de l'information et de la communication. Pourtant ce livre consacre peu de place à l'analyse et m'a laissé sur ma faim sur ce point. Des mises en perspective sont données dans le texte introductif, toutefois plus paré d'arguments militants que de neutralité objective, et dans la conclusion. Un court passage où sont exposés quelques concepts-clés comme l'interactivité, la notion de réseau ou l'hypertexte, donne quelques notions théoriques. Mais le plus souvent l'ouvrage ressemble à un catalogue et relate des démarches et expériences artistiques diverses fondées sur les ‘nouvelles' technologies. Elles sont mises bout à bout, regroupées par thématique mais il est difficile d'en saisir clairement les enjeux.
Le livre permet néanmoins d'identifier les questions que soulève l'art digital (je préfère ce terme à celui de Net.Art utilisé par Forest) : la remise en question de la définition d'oeuvre d'art, la nature de l'oeuvre entre réel et virtuel, la reproductibilité, le statut d'auteur, la remise en cause de l'individualité de l'artiste dans des oeuvres interactives ou collectives… Il incite à une réflexion sur la notion d'identité personnelle dans le monde devenant de plus en plus virtuel, ou aussi sur la relation entre technologie et activisme politique au travers de l'exemple des hackers. A ce titre, l'intérêt du livre est davantage de poser les questions que d'apporter les réponses.
Ce livre date de 2008 et apparaît à bien des égards obsolète compte tenu de la rapidité des évolutions technologiques, telles qu'on peut les découvrir par exemple dans l'exposition Artistes et Robots du Grand Palais à Paris ou celle, immersive et interactive, du collectif japonais Teamlab à la Villette. Ce sont d'ailleurs précisément cette rapidité de l'évolution et ce bouleversement induit par la technologie qui rendent probablement le recul et l'analyse difficiles. L'exemple de démarches artistiques fondées sur des technologies aujourd'hui dépassées comme le Minitel ou des proto-messageries ou plus guère utilisées comme le fax ou Second Life montre les limites d'une approche trop obnubilée par la technique. Il n'est alors pas simple de repérer ce qui relève d'une simple expérimentation anecdotique et ce qui relève d'une rupture forte qui fait sens.
L'art est à l'image du reste de la société et ne peut pas rester à l'écart des évolutions technologiques qui pourraient bien façonner un être humain différent de celui du passé.
Fred Forest est né en 1933. C'est un homme de l'ancien monde parti à la découverte du nouveau, un passionné mais pas encore un ‘digital native' comme les plus jeunes. Ce sont à eux qu'appartiendra la responsabilité de dessiner un monde artistique radicalement différent de celui du passé.