Une fibre meurtrière

La vue d’une dame, s’agissait-il de la femme d’un marchand, était pareille à un baume rafraîchissant dans ce pays surchauffé rempli d’exilés et de prisonniers. La dame était regardée avec envie et curiosité ; avec ressentiment ou paillardise. Ou simplement parce qu’elle était aussi propre et fraîche que du linge tout neuf et offrait un spectacle agréable pour des yeux comme les siens, qui toute la journée voyaient des hommes, des pierres et des copeaux de bois, et la nuit une presse tachée d’encre.

Certes, le crime et la maladie voire pire sévissaient ici, mais il y avait un point faible dans le vernis de civilité et de respectabilité de n’importe quel endroit prospère.

Contrairement aux prédictions pessimistes concernant les rejetons de félons nés dans une colonie pénitentiaire, ces enfants étaient moins indisciplinés que ceux des bidonvilles de Dublin et de Londres. Michael pensait que c’était parce que leur terrain de jeu s’étendait entre le bord de mer indigo et la brousse vert argenté, où ils pouvaient courir après de petits marsupiaux et des perruches aux couleurs éclatantes et chasser une incroyable variété d’insectes trop gros pour être conservés dans un bocal.

Il avait également vu des industriels prospères commettre des crimes plus graves que ceux reprochés à la prétendue classe criminelle qui peuplait cette ville. Le pire crime que beaucoup avaient commis ici était d’être nés pauvres. Ce n’étaient pas simplement le mal du pays et la privation qui avaient fait de Michael l’ennemi silencieux des spéculateurs.

La résine enivrante d’opium alimentait à elle seule le commerce grâce auquel régnait l’Empire. Michael avait peine à concevoir combien de pavots, et combien de fermiers et de leurs enfants, étaient nécessaires pour obtenir une telle production, tout cela au nom de l’expansion commerciale de la Grande-Bretagne.

Le manque de respect pour l’ancien état sauvage de cette terre avait coûté à plus d’un homme sa pauvre vie. Quand Jarrah lui avait parlé de l’Alcheringa, la religion (si l’on pouvait appeler cela ainsi) des Australiens d’origine, Michael n’avait pas été surpris. Il était convaincu de l’avoir sentie. Cet endroit grouillait d’esprits, certains massacrés récemment et d’autres qui traînaient apparemment ici depuis la nuit des temps.

Ce son lui donnait le frisson ; il signalait le début d’un voyage vers un endroit si excitant et mystérieux qu’il aurait aussi bien pu s’agir de l’Autre Monde : Londres. Mais pour aller à Londres, il fallait traverser la mer d’Irlande. Cette mer dangereuse, sournoise.

Il y avait une différence, avait dit son père, entre avoir l’esprit rebelle et être une rebelle. Mamo, bien sûr, avait été fière d’elle. William avait trouvé cette histoire particulièrement détestable, et il n’avait pas caché que sa sympathie allait au propriétaire plutôt qu’aux locataires.

Personne ne voulait être le premier à perdre espoir, mais il n’y avait aucun signe de vie dans la ruine, et à peine une flamme.

William est un raseur qui n’ose pas épouser une femme capable d’avoir ses propres idées. Je suis heureuse de ne pas avoir à le regarder en face tous les jours !”